Hors champ

L’oeuf dans le vinaigre et autres observations culturelles

Je l’avoue: j’aime les salons du livre. Il s’agit d’un sentiment plus ou moins répandu dans le milieu. Plusieurs de mes collègues tiennent les salons pour un mal nécessaire, une espèce d’instrument aratoire culturel à mi-chemin entre la moissonneuse-batteuse et l’épandeur à purin.

Il s’agit d’un sentiment fort compréhensible. Personne n’apprécie de consacrer les meilleures heures de sa journée à guetter le badaud, seul à côté d’une trop haute pile de bouquins. Certains, par ailleurs, détestent rencontrer les gens. Le pire cas de figure consiste donc à s’emmerder dans l’attente d’un lecteur que l’on redoute – d’où l’enthousiasme très moyen qu’éprouvent plusieurs écrivains pour les salons du livre.

Étrangement, le salon passe pour un instrument de l’industrie littéraire moderne. Le phénomène ne date pourtant pas d’hier: au Québec, les plus vénérables salons remontent aux glorieuses années 60, alors que florissaient, incidemment, les salons funéraires et les bar-salons.

J’y vois d’ailleurs une coïncidence instructive: on trouve, dans tout salon du livre qui se respecte, l’équivalent du pilier de taverne, du cadavre embaumé et de l’oeuf dans le vinaigre. Je laisse à d’autres la joie vicieuse de les identifier.

Mais contrairement au salon funéraire et au bar-salon, le salon du livre ne dérive pas d’anciennes pratiques domestiques. Il descend plutôt de la fête paroissiale, voire de la foire agricole, dont on peinait d’ailleurs à le distinguer. Poreuse était la frontière qui séparait les aventures de Jean Rivard de l’Almanach des agriculteurs.

Nous avons fait bien du kilométrage, depuis.

Les salons du livre ont désormais leur propre mythologie, leur sous-culture, leurs galeries de héros légendaires. De nombreuses anecdotes circulent par exemple au sujet d’Yves Thériault et des stratagèmes commerciaux qu’il élaborait. N’avait-il pas proposé de s’enfermer dans une cage de verre pour la durée d’un salon afin d’y rédiger un roman en direct, sous l’oeil émerveillé des flâneurs?

Poussée à ce point, l’inventivité commerciale touche à la poésie – une poésie un peu pittoresque, qui sent bon le broche-à-foin, et fait souvent défaut dans les campagnes promotionnelles modernes. Il m’arrive, en mettant le pied au Centre des congrès, de regretter le caractère tonitruant d’un Yves Thériault.

(Mais Yves Thériault, pour sa part, ne regrette sûrement pas les salons du livre.)

DANS LE COLLIMATEUR

Bref, j’étais au Salon du livre de Shippagan en fin de semaine dernière, où j’ai fait mille découvertes extraordinaires. Plusieurs d’entre elles relèvent toutefois de l’impubliable, de l’intime et de l’indicible, aussi vais-je me contenter de vous parler d’un admirable conteur.

Précisons que je suis, en matière de conte, un très mauvais spectateur. Le genre me plaît bien, mais le conteur doit être diablement habile pour capter (et garder) mon intérêt. Aux soirées de contes, je m’emmerde facilement.

Je me suis donc présenté à la soirée de contes organisée par le Salon du livre de Shippagan avec un enthousiasme modéré. J’y ai découvert Dominique Breau.

Originaire du village de Lavillette (pas la peine de chercher sur la mappemonde), Breau a animé toutes sortes d’activités publiques, depuis le très touristique Village historique acadien jusqu’aux ateliers de conte dans les écoles primaires. Il était d’ailleurs l’animateur et le réchauffeur de foule de la soirée de contes à laquelle j’ai assisté – un rôle logistique, à la rigueur un peu ingrat, où il donnait tout de même sa pleine mesure.

Dans ce genre de spectacle, un bon animateur porte parfois la soirée sur ses épaules – et Dominique Breau a les épaules solides. Il a le rythme, la verve, l’humour, le charisme et la bonne bouille, et il chante avec aplomb – le tout enrobé d’un vigoureux accent péninsulaire, ce qui ne gâche rien. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Fred Pellerin, dont il a d’ailleurs interprété un conte avec brio.

On retrouve Dominique Breau sur Parlures d’Acadie, un livre-CD fraîchement paru chez Planète rebelle. En outre, il sera de passage au Sergent Recruteur dans le courant du mois de décembre, et au festival De bouche à oreille en avril prochain.

À garder dans le collimateur.