Hors champ

Un peu de futurologie

En étudiant l'évolution de ses slogans à travers les âges, on découvre que le Salon du livre de Montréal a souligné publiquement ses cinquième, dixième, vingtième et vingt-cinquième éditions.

Il semble y avoir eu comme une petite faiblesse en 1992: on a en effet négligé de fêter la quinzième édition.

Que puis-je écrire sur la trentième édition que vous n'aurez pas déjà lu dans nos pages ou dans celles de la concurrence? Pas grand-chose sans doute, aussi vais-je plutôt vous esquisser un bref panorama de l'automne 2017, alors que le Salon du livre de Montréal fêtera en grande pompe sa quarantième édition.

(J'en profite d'ailleurs pour annoncer à mon chef de section que je prendrai congé le jeudi 16 novembre 2017. Merci de le noter.)

Alors, quoi de neuf sur la Planète Gutenberg?

Côté médias, pas grand-chose. Voilà plusieurs années que les cahiers et émissions littéraires ont disparu pour de bon. Le livre appartient désormais à la section Divertissements, où il doit se frotter aux plus récentes productions hollywoodiennes.

La critique – dont les lecteurs se méfiaient depuis longtemps – a été remplacée par les impressions de lecture de Madame Sicotte. En 2017, le lecteur est parfaitement intégré à la nouvelle chaîne de production du contenu: n'importe qui peut soumettre ses commentaires sur tel bouquin d'Anne Robillard. Il suffit ensuite de sélectionner et publier les meilleures contributions.

Lorsque ce phénomène est apparu, vers 2009, on l'a baptisé l'intégration perpendiculaire. L'expression est depuis tombée en désuétude: la réalité qu'elle désignait constitue maintenant l'état normal des choses.

Mais ne craignez rien, les journalistes culturels n'ont pas disparu: ils s'occupent toujours de l'actualité, des reportages et des entrevues. Il s'agit des formats les mieux adaptés à la couverture du livre contemporain, où l'on s'intéresse nettement moins à la littérature qu'à l'écrivain.

À ce propos, on annonce une nouvelle génération de jeunes écrivains provocateurs, prêts à casser la baraque – mais la plupart peinent à se tailler une place. Il faut dire que l'espace médiatique de l'automne a été essentiellement consacré au quatrième tome de Lily Potter, au dernier roman de Maggie Crimson et aux mémoires de Guy A. Lepage.

Au chapitre des nouvelles technologies, Sony annonce un livre électronique qui révolutionnera nos vies – juré craché! Rien à voir avec les faux départs de 2015, 2014, 2010, 2009, 2007, 2006, 2004, 2001 et 1999.

Au Québec, la crise de l'édition se poursuit. Dès le début de son troisième mandat, le gouvernement conservateur a coupé la plupart des subventions aux éditeurs. Durant la même période, on a assisté à une explosion du prix du papier, et ce, bien que 75 % des titres soient désormais imprimés sur de l'eucalyptus brésilien.

Faute de subsides, la plupart des petits et moyens éditeurs ont ralenti leurs opérations. Certains ont déposé leur bilan, plusieurs autres se maintiennent à flot en exigeant une participation financière de leurs auteurs.

La diversité littéraire prend un autre visage: on voit apparaître un nombre croissant de livres à compte d'auteur et de chapbooks – ces opuscules artisanaux que l'on se passe de main en main. Les plus récents photocopieurs permettent d'ailleurs de produire des tirages réduits à faible coût.

Cette culture souterraine, peu représentée dans les grands salons du livre, fait l'objet de foires informelles dans les arénas et les centres commerciaux. Certains spécialistes y voient l'avenir de la littérature, d'autres, un banal phénomène secondaire appelé à s'évaporer dès la prochaine hausse du prix du papier.

LA QUESTION A 100 PIASTRES

Lit-on encore en 2017?

Au Canada, le taux de lecture s'est maintenu jusqu'en 2011. Depuis quelques années toutefois, on assiste à une lente (mais indéniable) diminution de la lecture – comme partout dans le monde, d'ailleurs. L'achalandage en librairie se maintient, certes, mais 95 % du volume de vente se compose d'ouvrages de recettes et de psychologie populaire.

Forts de ces chiffres, plusieurs spécialistes prédisent la mort imminente de la littérature. Incidemment, on annonce de toutes nouvelles photos du Yéti.

J'ai bien hâte de voir ça.