Le romancier généraliste exerce un métier qui n’en est pas un, dépourvu d’horaire strict, sans description de tâche précise. Pour lui, tout le quotidien tombe dans la case «tâches connexes» – sauf peut-être l’écriture elle-même, si tant est que l’on puisse isoler clairement ce qui compose cette activité. Difficile de dire où elle débute, où elle se termine. On ne peut la réduire à ses signes extérieurs: rien n’est plus trompeur qu’un romancier à son clavier.
En fait, beaucoup d’entre nous écrivent bien mieux lorsqu’ils se trouvent à plus de dix mètres de leur instrument de travail.
Lâché lousse dans la nature, le romancier généraliste déploie ses antennes: il cherche partout le détail littéraire – et le trouve d’ailleurs sans difficulté. La réalité dépasse immanquablement la fiction. Il faut dire que la réalité ne s’empêtre pas dans la cohérence, la vraisemblance et les théories narratologiques.
Un exemple récent?
Douglas Adams, dans son Guide du voyageur galactique, explique l’importance de toujours se munir d’une serviette de bain lorsque l’on traverse la galaxie sur le pouce.
Pour un voyageur spatial, la serviette représente l’objet ultime – elle est plus utile en fait que la plupart des gadgets électroniques. Non seulement remplit-elle mille usages étonnants (y compris s’essuyer), mais encore permet-elle de désamorcer la méfiance des sédentaires.
La serviette, explique Adams, laisse en effet croire que le voyageur susmentionné possède également un certain nombre d’objets corollaires: brosse à dents, débarbouillette, savon, boîte de biscuits, gourde, boussole, carte, ficelle, vaporisateur anti-maringouins, imperméable, combinaison spatiale – et ainsi de suite. Cette perception rassure le sédentaire: voilà un vagabond digne de confiance.
La serviette est, en somme, un puissant outil d’ingénierie sociale.
Ce passage du Guide est si célèbre que depuis le printemps 2001, à la suite de la mort prématurée de Douglas Adams, on a déclaré le 25 mai Towel Day.
Comme la plupart des lecteurs de Douglas Adams, je percevais cette histoire de serviette comme une métaphore cocasse, une astuce science-fictionnelle, un procédé narratif à lire au second degré – comme à peu près toute l’ouvre d’Adams, d’ailleurs.
Mais la réalité dépasse même la science-fiction.
J’étais à l’Université Carleton la semaine dernière afin de rencontrer des étudiants en littérature. Tout en attendant l’organisateur, je détaillais le contenu d’un babillard – et sur quoi mon regard ne tomba-t-il pas? Une association caritative d’Ottawa cherchait des vêtements usagés pour les femmes sans-abri – et tout particulièrement des serviettes, dont une pénurie permanente représentait un sérieux problème dans les refuges.
Pour les sans-logis, c’est chaque jour le Towel Day.
Une joie sourde
Ma consour Véronique Marcotte me demandait récemment ce que j’attendais de l’UNEQ. J’ai un peu patiné, formulé quelques réponses évasivement syndicales ou explicitement utopiques.
La vraie réponse (et l’utopie véritable) ne m’est apparue qu’à la fin de la semaine dernière, alors que j’écoutais un 47e reportage sur la grève de la Guilde des écrivains américains.
On pourrait croire que cette grève ne concerne guère les romanciers généralistes – et pourtant, j’éprouve une sorte de joie sourde. Voilà des années que l’on considère l’écrivain comme le maillon le plus remplaçable de la chaîne de production (qu’elle soit télévisuelle ou éditoriale). Or, voilà qu’à l’occasion d’un arrêt de travail, on s’aperçoit soudain que les écrivains ne sont pas simplement une poignée de techniciens parmi tant d’autres.
Vous me voyez venir avec mes grosses godasses – et je sais qu’on m’accusera de me gourer de syndicat: si je veux faire la grève, il vaudrait mieux écrire pour la télévision que de bricoler des romans.
N’empêche, on peut rêver.
Rêver à une grande grève générale des romanciers et des poètes. Ou alors une petite grève limitée. Juste pour voir. Pour vérifier que nous existons encore, pour nous assurer qu’il est encore possible de faire les nouvelles, pour donner des sueurs froides à deux (ou trois) personnes.
Pour sentir que les écrivains pèsent un peu dans la balance.
Dans n’importe quelle balance – je ne suis pas difficile.
Jogging en serviette.
C’était en février dernier vers 19h00; il avait neigé une bonne quinzaine de centimètres; j’ai remonté la rue pour me rendre au dépanneur; dans la noirceur, au loin il me smeblait voir quelqu’un faire son jogging. Une belle lecon. En approchant de l’intersection j’ai bien vu qu’il était nu-tête, Voila un peu d’imprudence !
À une vingtiane de pieds, en plein millieu de l’intersection , c’était la vérité vraie, il était nu, avec une petite serviette blanche autour de la taille, un pied nu dans la neige , l’autre recouvert d’une pantouflfle d’hôpital en plastique, la sueur au front , les abdominaux serrés à l,expir
« Donne-moi ton manteau » me dit-il avec un fort accent . J’allais plutôt lui proposer de payer son taxi.
Mais voila , il est reparti poursuivi par deux agents de sécurité essouflés et une autopatrouille gyropahres allumés .
J’aime votre hypothèse sur l’utilité de la serviette de bain comme outil d’ingénierie sociale mais la pénurie de serviettes de bain chez les femmes sans abri m’en suggère une autre, aussi plausible.
La serviette de bain, ne représente-t-elle pas un symbole de sécurité pour l’individu qui traverse le monde comme la « doudou » que chaque enfant traine lorsqu’il s’aperçoit qu’il devra vivre dans le monde effrayant des adultes ? La « doudou » devient alors un talisman qui les protège de jour comme de nuit. La nuit, l’enfant doit affronter la noirceur et tous ceux qui s’y cachent alors que le jour, il découvre en pleine lumière la cruauté innocente des gens. Dans Peanuts, Linus ne pouvait pas abandonner sa « doudou »; le meilleur coup à lui faire, c’était de la cacher.
Monsieur Dickner, en rapportant le fait d’une pénurie de serviettes chez les femmes sans abri, vous m’indiquez que cette pièce de tissu anodine(que nous avons par dizaines dans nos salles de bain) sert à d’autres fins. Bien sûr, la serviette sert pour l’hygiène personnelle; mais nous sommes à la surface des choses. Dans ce monde de misère et souvent d’agressivité, la serviette de bain devient la « doudou », celle que l’on garde précieusement en se couchant. La ratine est douce au visage.
Elle est aussi objet d’envie et de vol, à moins de devenir outil de communication ou de marchandage. L’isolement de ces gens et la dureté de leur vie exigent un baume, un objet sécurisant . La serviette devient cette amulette qui doit les protéger de la colère des dieux et du regard des autres. S’enfouir le visage dans cette serviette de ratine, c’est se mettre un voile pour occulter sa propre gène et celle des autres. En fait, votre pénurie de serviettes n’étonne pas.
ET pourquoi pas faire de la serviette de bain l’objet qui représente votre syndicat. Ainsi, elle permet de vous réchauffer quand vous avez froid; de vous essuyer quand vous êtes trempé; de la passer à votre voisin s’il en a besoin; d’éponger un plancher mouillé; de vous protéger des rayons du soleil; de dire « allô » en l’agitant pour montrer que vous existez; de vous en servir pour vous cacher des regards indiscrets; etc.
Et, j’allais oublié, elle vous permet de vous essuyer après vous être lavé de tout soupçon… Bref, la serviette de bain est vraiment un objet universel aussi. Je suis sûr que vous pourriez trouver d’autres usages à la serviette de bain avec un tant soit peu d’imagination. D’autre part, dans la théorie de l’évolution, on dit que le besoin crée l’organe…
Il est certain que si nous essayons de définir les heures de travail d’un romancier, nous n’y arriverons pas. S’il travaille de 9h00 à 5h00 sur son clavier, il est bien entendu qu’il risque de connaître involontairement du temps perdu, causé occasionnellement par le plus ou moins grand blanc, et plus longtemps qu’il ne le souhaite lui-même; mais n’est-il pas comparable, en perte de temps, à ce moment-là, à des centaines de fonctionnaires qui, pour x raisons, ne donnent pas leur 100%?
Je ne dirais pas que la majorité des romanciers généralistes semblent
« écrire bien mieux lorsqu’ils se trouvent à plus de dix mètres » du clavier. Cela dépend du sujet; si le romancier dépeint la nature, là, je suis d’accord. Mais s’il écrit un téléroman, au contraire, cela lui prend du silence et aucune distraction.
Douglas Adams, qui accorde une importance « de toujours se munir d’une serviette de bain lorsque l’on traverse la galaxie sur le pouce », père du
« Guide du voyageur galactique », me fait penser un peu à Umberto Eco avec son « Comment voyager avec un poisson ». L’idée est aussi originale chez l’un comme chez l’autre et si les textes sont amusants pour le deuxième, on peut dire qu’ils sont déroutants pour le premier ( j’ai détesté, je n’aime pas la science-fiction). Que dire du Towel Day, le 25 mai? Très élogieux pour l’auteur, que je trouve sans mérite!
Mais je sais, il le faut bien puisque je l’ai vu à la télé, qu’il y en a pour qui la serviette revêt une importance capitale: dans une émission genre
« Décore ta vie » (c’est peut-être même exactement cette émission), j’ai vu qu’une dame avait cadenassé sa serviette après le support de la salle de bain pour se la garder à elle seule! « Ça vous prouves-tu ce que je viens d’écrire » ? Et si on dit que « quelqu’un a jeté sa serviette », cela veut dire « qu’il a mis les pouces ». AGISSEZ pour sauver le désastre et ne le prenez surtout pas à la légère; ne vous les tournez pas. Vous pourriez vous en mordre, tiens, justement, LES POUCES!