Je ne suis pas très porté sur les résolutions du Nouvel An. L'exercice me donne des sueurs froides, je ne m'y livre qu'avec réticence. Après tout, j'enfile les résolutions foireuses de février à décembre. En janvier, je prends congé.
La résolution annuelle est toutefois bien enracinée dans nos mours, et si d'aventure on refuse de s'y plier, il arrive que notre entourage prenne la question en main – situation pour le moins délicate.
Après la publication de ma dernière chronique de 2007, à la fin décembre, ma très estimée belle-sour m'a prié de bien vouloir "trouver quelque chose de positif à dire sur la littérature".
J'ai bien failli protester. Je ne me souvenais pas avoir brossé un portrait si noir de la question au cours de la dernière année. Sans doute avait-on mal interprété mes chroniques – excuse classique entre toutes. Par ailleurs, j'occupe une situation particulière au sein du Voir: ni critique ni journaliste, mais plutôt romancier résidentiel, et par conséquent porté à chercher la bête noire. Je plaide la déformation professionnelle.
Clarifions le malentendu: je demeure foncièrement optimiste quant à l'avenir de la littérature.
Nous traversons actuellement une époque de grande diversité littéraire. Au cours des derniers siècles, les humains ont forgé une myriade d'outils et de formats narratifs. Cette inventivité a culminé au vingtième siècle, avec mille excès de grammaire, de typographie et de procédés.
L'écrivain contemporain dispose désormais d'un coffre à outils aux dimensions phénoménales – si bien que son métier repose peut-être moins sur l'invention de nouveaux outils que sur la recherche de nouveaux équilibres entre les outils existants.
Il s'agit là d'une tâche aussi exaltante qu'éphémère: le dosage des procédés ne vieillit toujours pas très bien, puisqu'il repose sur d'évanescentes tendances de lecture. Et rien ne change plus vite que la lecture: nous ne lisons déjà plus de la même manière qu'en 1980.
Ces nouvelles façons de lire et d'écrire changent sous la poussée de forces internes, mais également sous l'influence des médias dominants. À cet égard, les prochaines années s'avéreront particulièrement passionnantes puisqu'après une longue domination du cinéma et de la télévision, nous voyons aujourd'hui s'imposer un grand média fortement textuel: Internet.
La littérature de demain sera celle d'une génération qui a appris à lire, décomposer et segmenter le texte sur le mode Web. D'une génération qui a grandi avec le copier/coller et les fonctions de recherche. D'une génération butinante, aux prises avec un déficit d'attention chronique.
Autrement dit, les nouveaux médias ne constituent peut-être pas le futur support de la littérature, mais plutôt le catalyseur qui transformera notre façon de lire. Comment les écrivains composeront-ils avec ce paramètre? Quelles solutions inventeront-ils? Problèmes merveilleux et palpitants!
Certains rétorqueront qu'il s'agit au contraire de questions putassières, et que l'écrivain digne de ce nom ne doit pas s'en préoccuper. Pour ma part, je me range du côté de Julio Cortázar, qui écrivait: "Le roman n'a pas de lois, sinon celle que n'agisse la loi de la gravité qui fait tomber le livre des mains du lecteur".
OH YES! WOO!
On annonce la disparition de la littérature, sa corruption, son abâtardissement? Je n'y crois pas. Au contraire, je suis convaincu que nous glissons peu à peu dans une nouvelle époque absolument fascinante et imprévisible.
Y aura-t-il des victimes? Bien sûr. Plusieurs copistes ont dû râler lorsque Gutenberg a inventé l'imprimerie typographique. Il faut du courage pour observer le monde par la lorgnette de nos arrière-petits-enfants, pour découvrir qu'il tourne désormais sans nous, à la fois familier et incompréhensible, comme un huitième continent suspendu dans l'éther.
En guise de voux de Nouvel An, je vous laisse sur ces quelques vers hautement philosophiques que chantaient les Rolling Stones en 1969: "You can't always get what you want/But if you try sometimes you just might find/You get what you need/Oh yes! Woo!"
Bonjour,
Me voilà doublement rassuré. D’une part, je n’étais pas le seul à vous croire porteur d’une vision négative. D’autre part, vous faites preuve d’un optimisme intéressant, ce qui ne m’apparaissait pas évident à la lecture de votre chronique «Un peu de futurologie» parue dans l’édition du 15 novembre qui, comme vous le savez, m’a révolté.
Au fil des ans, j’ai développé une hypersensibilité à toutes critiques du développement du nouveau monde du livre (édition électronique, livre numérique, édition en ligne, internet littéraire,…) en nos frontières. En fait, mon hypersensibilité est proportionnelle au retard du Québec dans ces domaines, d’autant plus que ce retard tient davantage des mentalités que des limites techniques.
Dans ce contexte, permettez-moi de souligner que les premiers écrivains à émerger dans le nouveau monde du livre ne sont pas de la jeune génération du copier/coller. Il s’agit plutôt des baby boomers à la pré-retraite ou à la retraite. Quand j’ai lancé notre projet de maison d’édition en ligne en 2003, je m’attendais surtout à intéresser les jeunes, ceux et celles nés avec l’Internet. Mais ce n’est pas le cas. La moyenne d’âge des auteurs dont j’ai édité les oeuvres en ligne est très élevée. Pour écrire, il faut en avoir le temps. Les jeunes n’ont pas le temps.
C’est ainsi que je me suis retrouvé à expliquer comment envoyer une pièce jointe (manuscrit) avec un courriel, comment télécharger le logiciel de lecture Adobe Reader pour ouvrir la maquette PDF soumise à l’auteur, comment enregistrer le fichier texte d’une oeuvre sous tel ou tel format et ainsi de suite. Des questions dont les réponses sont déjà largement connues de la jeune génération.
IL va sans dire que ces baby boomers ne me demandent pas comment faire du copier/coller car ils sont tous convaincus de leur originalité, forts de leurs expériences et de leur recul , souvent acquis à la sueur de leur front au fil des ans.
Quant à la loi de la gravité à laquelle vous faites allusion, elle m’incite à vous informer que les exemplaires papier demeurent les meilleurs vendeurs de notre maison d’édition en ligne, comme quoi les boomers préfèrent le bon vieux codez. Cependant, pour la jeune génération, les appareils de lecture électronique seront vites devenir pratique courante, ne serait-ce que pour alléger le sac-à-dos ou pour contrer le manque d’espace dans leur petite chambre qui ne leur permet pas de se monter une bibliothèque à l’ancienne. Et pour eux, la loi de la gravité sera aussi d’une importance capitale mais dans un autre sens: il ne faut pas échapper des mains son appareils de lecture électronique de peut de la briser.
Serge-André Guay, président éditeur
Fondation littéraire Fleur de Lys
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