J'ai maintes fois affirmé, dans cette chronique, que la production livresque d'une époque comportait quelque 95 % de matériel périssable: des ouvrages qui s'estompent rapidement dans notre esprit, qui perdent leur pertinence et leur lisibilité, qui demeurent figés dans le temps cependant que notre façon de lire se métamorphose sans cesse.
Il existe cependant des livres qui obéissent à une dynamique totalement différente. Ce sont les Bouquins Modérément Intéressants qui Sombrent Rapidement dans l'Obsolescence Mais Redeviennent Soudain Fascinants Quelques Décennies Plus Tard.
Tel est le livre que mon éditeur a trouvé en bouquinant dans de vieilles boîtes, la semaine dernière: En direct du futur, éditions Casterman, 1974. (Ne cherchez pas cet édifiant ouvrage à la bibliothèque du coin: ils ont sans doute élagué leur copie depuis un moment.)
Dans ce livre destiné à la belle jeunesse française, les auteurs spéculent sur l'avenir des transports, de la culture ou des loisirs – le tout illustré par des extraits de Flash Gordon, des Jetsons et de divers films de science-fiction.
Les auteurs évoquent fréquemment les prédictions fantaisistes du 19e siècle, comme à dessein de s'en distancier – vaine intention, puisque tout le livre semble désormais aussi pertinent qu'un daguerréotype.
D'ailleurs, tout l'intérêt de l'exercice réside là: plus les prédictions ratent la cible, plus le lecteur s'amuse.
Généralement, ce genre d'ouvrage est Victime du syndrome de la voiture volante – c'est-à-dire l'obligation d'exagérer. Il s'agit d'une figure imposée de la futurologie: comment vendre un ouvrage d'anticipation sans faire miroiter deux ou trois bidules réellement spectaculaires?
Modérément excentriques, les auteurs d'En direct du futur annoncent que les vols commerciaux intercontinentaux seront bientôt effectués par des appareils supersoniques comme le Concorde (1976-2003) ou le Tu-144 (1975-1978). Ils prédisent également le pic pétrolier en 1990, les quotidiens télécopiés chaque matin chez l'abonné (prévoir au moins deux heures pour l'édition du samedi) et la semaine de 18 heures vers 1995.
Souvent, c'est un détail formel qui invalide la prédiction. Ils annoncent par exemple l'importance grandissante des supports électroniques portatifs – cinq point bonus -, mais prédisent un avenir glorieux pour la cassette. Le disque optique, déjà en développement, passe dans l'angle mort.
Évidemment, j'ai voulu savoir ce que l'avenir réservait pour cet objet primitif et un peu dégoûtant que l'on nomme le livre. Il s'agira, après tout, de la grande obsession éditoriale de 2008.
Sur ce chapitre, les auteurs ne sont guère prolixes et se contentent d'affirmer que le bouquin 2.0 prendra la forme d'un lecteur de microfilms. Ainsi, l'homo sapiens du futur pourra (ô surprise, ô extase) trimballer la bibliothèque du Congrès au grand complet dans son petit sac en vinyle lustré!
(Tiens, tiens… Cet argument en faveur du livre électronique circule donc depuis plus de 30 ans? Pourtant, il ne semble toujours pas convaincre les lecteurs. Serait-ce que la plupart d'entre nous sont parfaitement heureux de ne transporter qu'un ou deux livres à la fois?)
Les auteurs ne s'étendent pas davantage sur le cas du livre, puisqu'il s'agit d'une technologie élitiste, moyenâgeuse et (n'ayons pas peur des mots) un brin nuisible. Les auteurs sont catégoriques: l'invention de Gutenberg a dressé des barrières entre lettrés et analphabètes – mais grâce à "l'arrivée des nouveaux systèmes audio-visuels, on a fait un pas en avant: il n'est plus nécessaire de savoir lire pour pouvoir participer au courant culturel".
Aah, les années Mac Luhan…
SOLO
Je vous ai parlé de Dominique Breau, en septembre dernier. Vous vous souvenez, ce truculent conteur acadien que j'avais découvert lors de mon passage au salon du livre de Shippagan? On lui avait confié l'animation d'une soirée de contes, rôle difficile qu'il avait assumé avec finesse, humour, et un sens du rythme impeccable. Pour tout dire, le coquin avait sauvé la soirée.
Or voilà que Breau débarque à Montréal afin de présenter son premier spectacle solo. Il sera ce jeudi soir au Petit Medley, rue Saint-Hubert, à compter de 19 h 30. Les billets seront en vente à la porte.
Une excellente occasion de voir ce qu'il a dans le ventre!
Le dernier livre que j’ai acheté est de Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquilité », deuxième volume. Quoique me délectant à chaque phrase de la poésie émanant de cette littérature humainement touchante et angoissante, j’ai eu envie il y a quelques jours de changer un peu d’univers.
J’ai pris, dans ma bibliothèque (? petit meuble carré à tablettes) ensevellie de toiles qui sèchent, un petit livre que je possède depuis longtemps mais que je n’avais pas encore lu. « Paris au 20e siècle » de Jules Verne. Bourré de prédictions étonnantes sur le futur Paris de…1960.
Un livre magistralement dramatique. Je l’ai lu en deux soirs, prenant congé de mon travail pour la cause.
L’avenir de la littérature est dépeinte si sombrement en ce petit livre que je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ton « optimisme » sur la question.
(« La littérature est morte, mon enfant, répondit l’oncle; vois ces salles désertes, et ces livres ensevelis de poussière; on ne lit plus; je suis le gardien de ce cimetière, et l’exhumation est interdite. »
« Donneras-tu dans la liittérature? Mais qui lit des romans, pas même ceux qui les font, si j’en juge par leur style! non! tout cela est fini, passé, trépassé! »
« Quelque fois, un pauvre diable, se sentant au coeur le feu sacré, essayait de percer; mais les théâtres lui étaient clos par leurs traités avec le Grand Entrepôt Dramatique; alors le poête incompris publiait quelque belle comédie à ses frais, personne ne le lisait, et elle devenait la proie de ces petits êtres de la classe des Entomozoaires, qui devaient êtres les plus instruits de leur époque, s’ils lisaient tout ce qu’on leur donnait à ronger. »)
…comme quoi, le pessimiste sur la question de la littérature dans le futur n’est pas d’hier! Mais il est clair que traité avec humour, même les plus sombres portraits peuvent être délectables.
J’ai un grand mur dans le salon qui attend de se faire tapisser de tablettes lourdes de la littérature des siècles passés… Lourdes d’images et de paysages… Lourdes de poésie et de beauté… Lourdes d’aventures et d’histoires stupéfiantes…
Héritage à mes enfants que je considèrent dignes d’une telle richesse.
De lire ce livre m’a donné le goût de terminer Voyage au centre de la terre, de Verne également (que j’avais commencé à lire il y a plusieurs mois avant d’en interrompre la lecture pour lire Nikolski. Nombres de lectures que j’ai faites depuis!). Ensuite, je m’attaquerai à la fin de ce livre intranquille de Pessoa.
Je voyage en la littérature toujours fascinée et émue d’y retrouver mon humanité dépeinte en autant de couleurs et de formes qu’il y a de visions du monde… Littérature inépuisable! Voyage sans fin!
Salut à toi
Voilà un bon moment que je ne donne plus signe de vie de votre côté du carré de sable, cher monsieur Dickner. C’est bien involontaire de ma part, je vous assure. Soit que je suis trop occupé à planifier et édifier un château dans un autre coin, soit que je ne fous absolument rien. Mais, bien sûr, cela n’est pas une très bonne excuse pour ne pas au moins vous rendre visite de temps à autre…
Je constate que vous vous empêtrez quelque peu cette semaine dans la futurologie du passé, et que vous vous retrouvez ainsi, comme à votre habitude, dans un carré de sable mouvant. À votre évidente délectation, bien entendu. Et voilà qu’entre vos dunes et vos tunnels resurgit à nouveau le livre électronique, encore et toujours faisant le pied de grue dans l’antichambre de la popularité.
Entre nous, je vous confie toutefois que le livre électronique ne saurait en aucun cas s’avérer autre chose qu’un bidule mort-né. Il ne pourrait en effet en être autrement. Parce que le livre électronique s’avère un concept bâtard. Qui ne peut par conséquent plaire à quiconque ou à son père.
Pourquoi? Tout simplement parce que ceux et celles qui aiment la lecture aiment aussi le toucher du livre lui-même, le signet placé entre les pages à l’endroit d’une pause dans la lecture. De petits plaisirs impossibles avec le livre électronique. À l’opposé, les adeptes de bidules clignotants, sonores, à piles et à klaxons, atteints d’un déficit d’attention chronique à force de précipitation continuelle, ne sont plus atteignables que par le biais d’une multiplicité simultanée et cacophonique de gadgets. Un banal livre électronique ne leur est d’aucun intérêt.
Voilà donc où nous en sommes. Et ceux qui sauront encore lire et écrire dans le futur s’en tiendront certainement au bon vieux livre car, tout bien considéré, on ne trouvera jamais mieux pour la lecture. Sur ce, je vais jeter un coup d’oeil dans un autre coin du carré de sable. À la prochaine!
Je relis avec beaucoup de plaisir le roman-culte « Génération X::tales for an accelerated culture » du Canadien Douglas Coupland. Écrit en 1991, il met en scène trois personnages: Andy, Claire et Dag dans la Californie des années 80 et 90: héros ou anti-héros, sans le savoir, de la génération X. Des personnes,sous-employés dans des bars ou magasins de Palm Springs, nous livrent sans agressivité leur vision du monde au travers d’histoires inventées qu’ils se racontent les uns aux autres et aussi au travers de leur vie simple caractérisé par leurs relations inter-personnelles, dans laquelle l’amitié reste leur ciment. Livre curieux, avec ses phrases lapidaires en marge des pages. Lucides, mais non désespérés, ils utilisent le rêve et le rire comme des remparts face aux débâcles qui déjà se pointent.
J’ai eu la chance de mettre la main sur ce roman que la Bibliothèque de Montréal mettait en vente à l’aréna Etienne Desmarteaux pour la modique et symbolique somme de $1.00. On décidait que ce livre-culte, à la base des théories sur la génération X, devait être retiré moins de 15 ans après sa publication. Pour un livre-culte, c’est peut-être un record Guinness. Qu’il ne se retrouve plus dans les librairies, vouées à la nouveauté, on peut tolérer cette situation inacceptable, mais le vendre à rabais avec la mention « retiré » sous l’oeil placide des bibliothécaires babyboomers me donne un grand frisson dans le dos. Ironie du sort, la livre a été en réimprimé en français, format de poche, en 2004. Il y a un semblant de justice dans le monde des livres. Je conviens que nous sommes loin des temps barbares où les livres étaient brûlés, mais le mot retiré me fait pensée à l’exil et l’oubli que certains livres ne méritent pas.
Comme certains animaux en voie de disparition, j’aspire à la création d’une société protectrice des livres, non pas ceux célébrés (ex: À la recherche du temps perdu de Proust, Guerre et Paix de Tolstoï) dans le monde, comme les lions et les éléphants du Serengéti, mais ces romans reconnus et oubliés, telles ces araignées et ces grenouilles, dont le nom nous échappe, mais qui font partie du patrimoine mondial.
Pour contrer les censeurs, les prédateurs, les passifs et surtout les marchands des refuges voués à la préservation des livres doivent être érigés pour contenir la mémoire du monde et permettre aux citoyens un accès gratuit à cette beauté du monde.
@Claude Perrier :
Les adeptes de trucs et bidules a klaxons sont avant tout avides d’information. Le livre electronique a beaucoups d’avatanges qui ne sont pas seulement ecologiques.
Tout d’abord le livre electronique est en papier. Et pas cet horrible ecran retroeclairé qui n’a eu le succes qu’il merite : aucun.
Ensuite il y a un interet considerable, qui est economique. Pas seulement pour le lecteur, mais ausis pour l’editeur et l’auteur. Combien de livres n’ont pas été publié ou republié pour des raisons de rentabilité ? Produire un bon vieux livre papier coute cher. Au contraire, editer 10 millions de copies d’un livre electronique ne coute que le prix de l’edition du premier exemplaire. Et on pourra enfin lire des livres qui ne sont pas disponible faute de financement.
L’auteur du blog dit qu’il prefere n’avoir qu’un ou 2 livres dans son sac ? Personellement je preferai y avoir toute ma bibliotheque. Au meme titre que j’apprecie d’avoir toute ma discotheque de jazz dans mon iphone.
Et dernierement, pour faire court en commentaire : Vous vous trompez en croyant que les « gadgetophiles » ne sont qu’un ramassis de molusques decerebrés incapables d’apprecier un livre. Mais la je n’ai pas de preuve pour vous le demontrer… Ou bien il est possible que nous ayons tous les 2 raisons parce que nous ne frequentons pas les mêmes molusques ;)
La notion « périssable » est tout ce qu’il y a de relatif. S’il s’agit de ces comètes fugitives qui luisent l’espace d’une courte rentrée dans l’atmosphère médiatique de la littérature du moment, leur durée de vie est inversement proportionnelle à la quantité de lumière libérée par ce choc. Tenter de lire tout ce qui brille de la sorte est aussi fou que de vouloir apercevoir toutes les étoiles filantes à la fois par une belle nuit du mois d’août au temps des perséides. Ce matériel littéraire aura beau être revampé par tous les bidules électroniques passés, présents et à venir, qu’il ne sera pas empêché pour autant de finir sa course dans les ténèbres de l’oubli. Même dans le cas peu probable où l’une de ces comètes, par un hasard du tonnerre, en viendrait à devenir un trou noir, privilège pourtant réservé aux étoiles, retrouvant ainsi une deuxième vie en attirant vers elle un petit groupe de lecteurs, cela ne serait qu’une exception à la règle.
En fait, le support sur lequel les œuvres voyagent dans le temps a fort peu d’importance. Sur des particules de papier ou sur des ondes, bien peu finiront par atteindre une orbite leur permettant de graviter longtemps dans notre galaxie. Ainsi, un ouvrage sous la direction de Peter Boxall et préfacé par Jean Dormesson identifiant les 1000 livres qu’il faudrait avoir lus dans sa vie, montre qu’il y bien peu d’auteurs qui auront la vie d’une étoile. Même les grands noms de la littérature n’y seront représentés que par quelques-unes unes de leurs œuvres.
Alors, tant mieux si plus d’œuvres sont disponibles en raison de leur diffusion sur tous les supports imaginables, mais il nous restera toujours à nous lecteurs la responsabilité du terrible choix de discerner ce qui brille vraiment.