J'ai appris, en 2007, un mot qui m'obsède et me poursuit: luddiste.
Le terme tire son origine d'un certain Ned Ludd, ouvrier anglais qui, à la fin du 18e siècle, aurait détruit des métiers à tisser. De tels sabotages se seraient multipliés jusqu'à devenir la révolte des luddistes, un de ces chapitres houleux qui ponctuèrent la révolution industrielle. Aujourd'hui encore, on utilise le mot luddiste (ou néo-luddiste) pour désigner une personne qui s'oppose aux nouvelles technologies.
J'ai souvent égratigné le livre électronique, dans cette chronique, une position qui pourrait aisément me valoir l'étiquette de luddiste. Mais est-ce vraiment le cas? Je n'en suis pas certain moi-même, et cette incertitude me trouble. Sans doute convient-il de poser un diagnostic, de prendre une position claire, puisque 2008, paraît-il, sera une grosse année pour la cause du e-bouquin – si tant est qu'il s'agisse d'une cause.
J'aimerais soumettre, si vous le permettez, un cas de figure: Second Life.
Sans doute avez-vous entendu parler de ce célèbre monde virtuel 3D au début 2007, alors qu'il jouissait d'une couverture médiatique sans précédent. Les propriétaires de Second Life se targuaient alors d'héberger une population de quelque 2 millions d'avatars et de brasser beaucoup, beaucoup de lindens (la devise locale).
Le réseau, affirmait-on, gagnait en maturité: il ne s'agissait plus seulement d'un gros logiciel de clavardage, mais d'une interface complexe utilisée pour des entrevues, des concerts, des cours universitaires, des réunions d'affaires et des opérations de marketing. Même Kurt Vonnegut s'était prêté à une entrevue devant un public virtuel à l'été 2006.
Finalement intrigué, je suis allé faire un tour – et j'y ai vécu une expérience modérément agréable et parfaitement prévisible: une promenade dans un décor en carton-pâte, désert à 99 %, peuplé çà et là d'avatars qui se prenaient trop au sérieux.
Soyons honnête, Second Life m'a enthousiasmé comme un boulevard de banlieue un mercredi de février. Même le Web version 1996 était plus excitant.
J'étais prêt à saborder illico mon avatar lorsque, en fouillant un peu, je suis tombé sur une entrevue du USA Today où Philip Rosedale, créateur de Second Life, expliquait avoir essentiellement voulu recréer le Métaverse, un réseau informatique décrit par Neal Stephenson dans son roman Snow Crash (1992).
Cette entrevue donnait une tournure intéressante à Second Life, qui devenait soudain une entreprise paralittéraire. Rosendale était-il en train de façonner le monde de demain, ou simplement de se livrer à une forme élaborée de bovarysme 3D? J'ai aussitôt commandé le livre de Stephenson afin de comparer la fiction et la réalité.
En fait, non: je n'ai pas aussitôt commandé le livre. J'ai hésité quelques mois. La science-fiction me plaît en théorie, mais me déçoit souvent en pratique. J'ai souvent l'impression que le genre gravite autour des concepts, au détriment de l'écriture ou de la narration.
Ce n'est pas le cas de Snow Crash.
Stephenson signe là un roman joyeusement baroque, très rythmé, pimenté de mythologie mésopotamienne, d'anticipation politique déjantée et de références culturelles plus ou moins sibyllines. Il maîtrise notamment le dialogue à bout portant et le détail-qui-tue – qualités aussi rares qu'appréciées.
Snow Crash décrit essentiellement les relations entre le monde virtuel (le Métaverse) et le monde réel (la Californie au début du 21e siècle). Dans ce futur peu reluisant, la recherche et l'échange de données sont devenues l'obsession universelle. Les données permettent de vivre, de survivre, de se défendre. Il s'agit moins d'un texte sur la technologie, en somme, que d'un texte sur l'information – et, en ce sens, le propos de Stephenson demeure effroyablement actuel.
Comment expliquer que j'ai éprouvé cent fois plus de plaisir à lire le roman de Neal Stephenson (sur support préhistorique) qu'à déambuler dans son implémentation haute technologie?
Vous me voyez venir, chaussé de mes gros sabots numériques…
Second Life illustre bien le malentendu typique qui entoure la technologie, y compris le livre électronique. Plusieurs lecteurs/usagers pensent que l'interface est intrinsèquement intéressante, alors qu'en fait – et Snow Crash illustre cette idée de diverses manières – l'interface n'est rien d'autre qu'un outil.
Et si puissant soit-il, l'outil ne protège personne contre la médiocrité.
Si 2008 devait effectivement se révéler une année clé pour le livre électronique, alors je nous souhaite d'étudier la question sous un angle aussi crucial que peu spectaculaire: le contenu.
Snow Crash, de Neal Stephenson, Éd. Bantam Books, 1992, 480 p.
Bonjour,
Secondlife « semble » a priori desert. Il ne l’est pas bien sur. Il y a plusieurs raisons :
– nous sommes environs 50.000 residents connectés en simultané pour 12 millions d’inscrits. Cette énorme difference viens du fait que, contrairement au « monde reel », nous nous deconnectons du monde quand nous n’avons rien a faire, quand nous voulons faire autre chose, quand nous dormons, quand nous somme en train de lire un livre, etc … Si nous pouvions faire de même dans la « vie reelle », devenir invisible par exemple, a chaque fois que nous ne somme pas dans une activité sociale (dormir, manger, lire, se deplacer d’un point A un point B, …), ce monde reel semblerai tout aussi vide.
– La magie de la teleportation. La teleportation est le mode de transport le plus utilisé dans secondlife. Quel rapport ? Promenez vous dans une grande ville (une capitale par exemple) un soir. C’est bondé, peuplé de gens, mais sont ils vraiment la ? Arretez les gens dans la rue et demandez leur ce qu’ils font ? Une grande partie ne s’arretera meme pas pour repondre et l’autre grande partie vous dira qu’ils se deplacent d’un point A a un point B. Et parmis ceux la beaucoup vont simplement « rentrer chez eux » : manger, dormir. 2 activités qui n’ont pas cours sur secondlife. Ils pourraient tout aussi bien devenir invisible jusqu’au lendemain matin que ca ne changerai rien. Rien, mis a part que le monde semblerai bien vide ;)
Il reste une partie qui va dans un lieu public (ou privé) pour rejoindre d’autres personnes, s’amuser, discuter, socialiser, … Cela a du deja vous arriver, il y a toujours la question du « où? » : pas trop loin, pas trop long, endroit sympa, etc … et le monde entier se repartis plus ou moins uniformement en fonction des imperatifs de deplacement, les commoditées a proximité, etc … vous connaissez la chanson. De ce fait il y a une multitude de petits groupes repartis de part la monde. Les endroits les plus « pratiques » etant les plus peuplés. (rues commerciales, quartier a restaurant, …).
Dans secondlife, encore une fois, nous pouvons nous teleporter. Sans contrainte de deplacement, les petits groupe repartis un peu partout en fonction des imperatifs de deplacement se transorment en gros groupes et la notion de « rue » n’a plus qu’un interet vaguement esthetique. Il y a beaucoup de monde dans secondlife, 50.000 utilisateurs en simultanés, c’est plus que vous n’en croisererai en un an d’exploration et de socialisation. Et vous ne discuterez peut etre qu’avec 5000 d’entre eux dans l’année.
Les decors en carton pate… Secondlife est fabriqué par ses residents. La totalité du contenu a été fait « ingame » par les utilisateurs, Secondlife est ce qu’on en fait.
Des residents qui se prennent trop au serieux ? Peut etre est ce vous qui ne prenez pas Secondlife assez au serieux ;)
Ensuite vous parlez de metaverse comme l’a fait philip et vous avez pris secondlife pour le fameux metaverse dont il parle. Secondlife n’est pas une implementation de ce « metaverse ». Secondlife est un univers qui fera partie de ce metaverse. Le metaverse que vous cherchiez n’existe… pas encore.
SecondLife est probablement « LE » univers qui prefigure ce futur metaverse, c’est le plus complexe, le plus grand, le premier dans son genre, le plus peuplé, etc … la clé de voute de ce metaverse. Il existe dors et deja d’autres univers, mais on va vers une simplification des mondes virtuels, secondlife restera l’univers « expert » de reference. Et il n’y a pour l’instant aucune interconnextion entre ces univers, donc pas de metaverse…
Vous etes parti a la recherche de quelque chose qui reste a construire. Ne soyez pas si decu de ne pas l’avoir trouvé ;)
Par contre il vous reste la possibilité de participer a cette construction… profitez en, ca n’arrivera qu’une fois dans l’histoire de l’humanité
Bien dit Nicolas ! Rien d’autre qu’un outil. À juger selon son contenu.
Parlons-en de contenu. Étant donné que je ne sais pas où d’autre te joindre, à part peut-être sur le site de Second Life… je tiens à te dire que j’ai beaucoup aimé le personage féminin dans Nikolski. Depuis le temps, j’ai oublié son nom, mais ce que je n’oublie pas c’est l’impression que j’ai ressentie lors de la lecture du roman. En tant que femme contemporaine (née en 1973) je me suis tout de suite identifiée à ce personage hors du commun, qui, un peu comme moi (si j’ose le dire) a des rêves et des ambitions qui ne relèvent pas uniquement de s’attirer les regards du sexe opposé ou de diminuer la grosseur de son postérieur.
Bien que dans plusieurs romans les personages de femmes sont caricaturals, en réalité nous avons des aspirations et des quêtes d’identitées qui ne gravitent pas toujours autour des hommes. Doit-on vraiment le répéter en 2008 ? Quel vent de fraîcheur que de rencontrer une jeune femme qui vit une recherche intérieure profonde et très humaine. Alors bravo pour ce contenu féminin qui est tout sauf médiocre et qui me donne espoir en tant que lectrice.
Pour ce qui est des nouveautés, électroniques ou pas, continuons de les juger selon le contenu. Ce sera à la postérité d’apporter le jugement final.
Au plaisir.
Sabotage est un mot pré-luddien. Il provient d’un cas spécifique visant a rendre des machines à tisser (Jacquard) inopérante. Des ouvriers Nord-Africains à l’aide de leurs sabots détruisaient le mécanisme servant a tirer les fils.
L’action de saboter vient de détruire avec un sabot.
Si vous le saviez déjà, eh bien, vive le luddisme.