Je n'arrive pas à décider si je dois me réjouir ou m'affliger d'avoir été en congé au moment où VLB y allait de son dernier coup de gueule.
Notez bien que je n'étais pas si loin du débat, d'une certaine manière, que j'ai suivi en direct de Munich. J'y participais à une soirée du Québec au cours de laquelle pas un traître mot de français n'a été prononcé.
Outre l'incompétence qui se cache derrière cette bévue diplomatico-culturelle, j'y vois l'illustration des limites du bilinguisme – car si j'arrive encore à imaginer deux langues cohabiter au sein d'un même pays, je collectionne depuis un moment les preuves que le bilinguisme ne fonctionne pas à l'échelle internationale. Chaque fois que je traverse l'Atlantique, je tombe sur des Européens qui ignorent que l'on parle français au Québec.
Je vous entends protester: n'est-il pas normal que les gens de Munich s'y entendent mieux dans l'art du bretzel que dans la démolinguistique du Québec?
S'il faut tracer la ligne entre le normal et l'anormal, alors j'aimerais souligner deux petits trucs.
Primo, on me casse les oreilles depuis des années avec les excellentes relations qui prévalent entre la Belle Province et le pays de la Weisswurst – ce dont témoigne d'ailleurs l'existence d'une Délégation générale du Québec à Munich. À l'évidence, ces excellentes relations reposent davantage sur le négoce de l'aluminium que sur l'échange culturel.
Secundo, le problème ne se limite pas à la Bavière. Je suis allé deux fois à Paris l'an dernier, et chaque fois on m'a demandé si j'écrivais mes romans en anglais. À Paris, nom de Dieu!
Il ne fait aucun doute dans la tête de personne qu'au Danemark, on parle danois. En revanche, bon nombre de citoyens européens semblent encore penser que la langue officielle (et maternelle) des Québécois est l'anglais.
On a la normalité qu'on mérite.
LES JUPES A FLEURS
Peut-être avez-vous remarqué qu'il est tombé deux ou trois flocons en fin de semaine dernière? Dimanche matin, après une nuit de profond sommeil, ma sociologue préférée et moi avons découvert sous notre fenêtre un paysage merveilleux et apocalyptique. La fin du monde en crème fouettée.
M'étant pointé à ma quincaillerie afin d'acheter une nouvelle pelle – la nôtre avait rendu l'âme la semaine précédente -, je découvris avec surprise que ces coquins n'en avaient plus une seule en magasin. Toute la marchandise hivernale avait été remplacée par une vaste panoplie de parasols, de chaises de parterre, de sécateurs et autres hibachis.
Sur le chemin du retour, de la neige jusqu'aux genoux, contrarié au-delà de tout vocabulaire, j'examinais les commerces de la Plaza Saint-Hubert. Dans les vitrines me narguaient des mannequins vêtus de minijupes, de sandales rose jujube et de chemises estivales.
Interrogé sur cette manie commerciale, n'importe quel marchand vous répondra qu'il faut vendre la marchandise une saison à l'avance afin de devancer la concurrence. Foutaise et merde de bouvillon! En réalité, la manouvre consiste à profiter d'un phénomène universel: l'impatience d'arriver à la saison suivante.
Dès janvier, nous rêvons au printemps. En avril, nous espérons l'été. En juillet, nous attendons l'automne. En octobre, nous souhaitons l'hiver.
Nous passons le plus clair de l'année à trépigner, et les magasins tablent sur ce mécontentement permanent. Une jupe à fleurs au mois de mars, c'est un morceau de futur en exclusivité. La publicité carbure au rêve – et peut-être faut-il y voir, en fin de compte, le principal concurrent de la littérature de fiction.
Voilà des décennies que l'on accuse la télévision de saper le lectorat littéraire. Peut-être les lecteurs ont-ils plutôt été détournés du livre par la publicité – y compris la publicité télévisuelle. Le rêve que l'on cherchait autrefois en lisant, on le trouve désormais dans les vitrines, toujours une saison à l'avance.
À notre époque, Emma Bovary serait une acheteuse compulsive.
Je m'étonne que personne n'ait encore songé à ajouter de la publicité dans les romans. On pourrait difficilement inclure des publicités ponctuelles – mais il resterait encore le placement de produits et de logos, la commandite, le bandeau publicitaire, l'encart stratégique et l'échantillon sous cellophane.
L'idée est sans contredit horripilante – et pourtant, je ne serais pas autrement surpris que ça fasse augmenter le lectorat.
On a, après tout, les paradoxes qu'on mérite.
Vous ne dormiez donc pas, ineffable monsieur Dickner! Parce qu’avec toute cette affaire tournant autour d’aller vous coucher de bonne heure d’il y a un mois et puis, plus rien, j’en étais venu à me demander…
Vous étiez donc à une soirée québécoise chez les Allemands, à pratiquer votre conversation anglaise, si j’ai bien compris. Que personne ne parle français là-bas peut bien sûr surprendre mais, comme vous le notez, la soirée portait davantage sur le négoce que sur la culture.
Par contre, c’est à se demander qui vous fréquentez lorsque vous vous pointez à Paris. Sinon, ce que vous nous dites s’avère terriblement préoccupant. Qu’à Paris on ne sache pas qu’au Québec nous soyons quelques-uns à baragouiner le français, c’est à la fois étonnant et préoccupant. Vraiment, monsieur Dickner, qui fréquentez-vous là-bas?
Mais peut-être y a-t-il une explication simple. Se pourrait-il que votre nom de consonance anglophone soit la cause de la méprise? Parce que je me rappelle le vacarme médiatique d’il y a quelques années qu’avait fait le journaliste Normand Lester, tout insulté que le personnel du Jewish General Hospital à Montréal lui ait d’abord adressé la parole en anglais. Sans la moindre malice, bien entendu. Vous serait-il arrivé la même chose?
C’est probablement ça, après tout. On aura voulu être bienséant à votre égard, tout simplement. Enfin, espérons que cela soit la véritable raison, parce que sinon…