Hors champ

Le ciel de Beijing

Ça boycotte à toute vapeur par les temps qui courent, mes amis. C'est à qui sprintera le plus vite sur la torche olympique armé d'un extincteur, d'un tuyau d'arrosage, d'une boîte de bicarbonate de soude.

On s'est beaucoup demandé, dans les médias, si les athlètes devaient – ou pouvaient – boycotter les jeux. En avaient-ils les moyens? Quelle forme, quelle ampleur ce boycottage pouvait-il prendre? Fallait-il s'abstenir de participer totalement, partiellement ou sporadiquement, arborer un macaron, un petit ruban ou un masque à gaz? Devait-on pratiquer la minute de silence, ou bien le simple air contrit suffisait-il?

On ne peut pas être contre la vertu, paraît-il. Mais est-on au moins autorisé à rire jaune?

Dites-moi un peu: comment pourrait-on s'attendre à un boycottage sérieux de la part d'athlètes vêtus de la tête aux pieds de lycra, coton et autres espadrilles manufacturés en Chine? De quelle indépendance font preuve ces équipes commanditées par des compagnies qui délocalisent dans le Guangdong à tour de bras?

Sans doute vous demandez-vous ce que cette histoire de boycottage vient faire dans une chronique littéraire…

Je vous le donne en mille: tout ce brouhaha m'a rappelé un passage du Ciel de Québec, l'ambitieux roman que Jacques Ferron publiait en 1969. Bien que le bouquin porte sur le Québec d'avant-guerre, certains passages jettent une lumière crue sur l'actuel sino-boycottage. Lisez plutôt ce qu'écrivait notre décapant docteur:

"Le bon lieu se définit par opposition au mauvais. La proximité de celui-ci permet à qui dispose de l'avantage de vivre dans le bon de venir y commettre ses inévitables péchés. Dans ce système, à proprement parler manichéen, le bon lieu n'est jamais souillé et le mauvais prend sur lui les péchés des deux. La bonne réputation de la paroisse de Saint-Magloire dépend de la mauvaise réputation du village des Chiquettes."

Suffit de remplacer "Saint-Magloire" par "Occident", et "village des Chiquettes" par "République populaire de Chine" – et voilà qui éclaire les raisons de la vertu.

Il faut toujours garder ses classiques à portée de main.

PREVENTIVEMENT

Le M.A.L. (Mouvement pour les arts et les lettres) vient de publier une étude sur les défis et les besoins économiques du milieu. Il s'agit d'une étude bien étoffée, comportant quelque 45 pages pimentées d'abondantes références et statistiques. Dans les médias, en revanche, on a surtout entendu un chiffre: 17 000.

Il s'agit du salaire avec lequel doivent se débrouiller plusieurs milliers d'artistes québécois – salaire qui ne s'accompagne d'aucun avantage social, il va sans dire, puisque les artistes sont le plus souvent travailleurs autonomes. Pas de caisse de retraite, pas d'assurance chômage, pas d'assurance médicale.

(Si l'on se fie à l'Observatoire de la culture et des communications, les écrivains s'en tirent à meilleur compte, avec une moyenne de 31 000 $ et des poussières – mais on devine que toute une génération d'écrivains-profs-de-cégep contribue à hausser la moyenne. Keep your day job, comme on dit.)

J'anticipe déjà la riposte habituelle du contribuable: "Ils ont juste à se trouver un vrai travail", voire encore: "Pourquoi on les subventionnerait pour se pogner le cul?"

Je caricature? Non. On m'a déjà servi ces arguments. Alors vous permettez que je pose encore une petite question à ces braves payeurs de taxes? Si les artistes ne font pas un vrai travail, pourquoi 90 % du discours culturel ambiant porte-t-il sur l'industrie de la culture: pourcentages, auditoires, ventes, performances, revenus et autres budgets?

Réponse: parce qu'il s'agit – en effet! – d'une grosse industrie.

Rien que pour le livre, un secteur pourtant réputé modeste, les ventes sur le territoire québécois pour l'année 2007 s'élèvent à 835 millions de dollars. Vous avez bien lu: on approche du milliard de dollars!

Pourquoi, alors, trouve-t-on normal que les créateurs soient si chroniquement sous-payés, si perpétuellement mal subventionnés?

Prenez seulement le Programme du droit de prêt public – un système qui octroie une compensation aux auteurs dont les livres garnissent les bibliothèques publiques. Le budget de ce programme (pourtant tout simple) est pratiquement gelé depuis sa création, il y a une vingtaine d'années. De qui se moque-t-on?

Quand les dernières compagnies auront délocalisé leurs activités en Chine pour faire plus de profits, souvenez-vous que vos artistes seront encore ici.