Pour un romancier généraliste, voyager en Gaspésie est une occasion rêvée de faire le plein. Invité à participer au festival Livres en fête!, je reviens avec un calepin noir de notes.
Vous n'avez jamais entendu parler de Livres en fête!? Rien de plus normal. On entend généralement parler de la Gaspésie lorsqu'une catastrophe s'y produit: glissement de terrain, bisbille chez les pêcheurs, fermeture de la Gaspésia ou de la mine de Murdochville. Les bons coups, quant à eux, sont surtout célébrés à l'échelle locale, d'où l'impression typiquement montréalaise qu'il n'existe pas de salut à l'est de Sainte-Flavie.
Il faut admettre que Livres en fête! n'en est encore qu'à sa troisième édition; l'événement commence tout juste à prendre sa vitesse de croisière. N'empêche, le départ est impressionnant.
Les organisateurs cherchent en effet à relever un ambitieux défi géographique. J'ai beau me creuser la tête, je ne vois aucun événement québécois – hormis les Journées de la culture – qui couvre un territoire aussi vaste. Imaginez un polygone d'environ 40 000 km2, délimité par l'embouchure de la Restigouche, Cap-Chat, Gaspé et les Îles-de-la-Madeleine. Voilà l'espace impossible où se déroule Livres en fête!.
Pendant une semaine, les écrivains font du kilométrage. On les envoie en mission à Cloridorme, L'Anse-au-Griffon, Cap-d'Espoir, Bonaventure, Saint-Elzéar, Paspébiac, Nouvelle, Havre-aux-Maisons – et dans une multitude d'autres villages. Ils visitent de minuscules bibliothèques municipales, des écoles primaires, des polyvalentes et des salles communautaires.
L'équation est claire: le livre doit occuper le territoire.
Les écrivains que j'ai rencontrés jubilaient. Non seulement parce que le festival permet de rencontrer des lecteurs enthousiastes, mais aussi parce qu'il s'agit du meilleur temps de l'année pour rouler en Gaspésie.
J'ai savouré chaque kilomètre sur la 132 déserte, en pleine nuit ou au soleil tapant. On voit encore de la neige dans les sous-bois et des glaçons dans les barachois. Pas de roulottes ni de touristes en vue. On croise parfois une famille de chevreuils ou un bum de village dans son bolide modifié. Sur les quais, les pêcheurs empilent les casiers à homards, dûment boëttés pour la première sortie de la saison.
Ça donne envie de rouler jusqu'en Oregon.
SE PEINTURER DANS LE COIN
Bref, j'avais promis d'animer mon tout premier atelier d'écriture en secondaire 5, à la polyvalente C.E. Pouliot de Gaspé. Pessimiste de nature, je me suis présenté à la bibliothèque de l'école dans un état de nervosité avancée, prêt au pire.
Angoisse inutile: mon petit groupe a été impeccable.
Je me suis amusé à leur faire écrire et réécrire leurs textes en imposant chaque fois des contraintes plus corsées. Ils se sont livrés à l'exercice sans rechigner, visiblement amusés. Dans la plupart des cas, leur travail s'améliorait de version en version.
Il faut parfois se peinturer dans le coin afin d'obtenir les meilleurs résultats.
Tout en lisant leurs textes, je m'amusais à classer mes écrivains en herbe: les petits talentueux qui font de l'épate, les vampirologues, les sombres poètes, les sérieux, les amateurs d'émotion et d'histoires vécues. Inévitablement, je me suis demandé si l'un d'entre eux persisterait jusqu'à publier un bouquin. Peut-être cette fille qui écrivait en silence, le nez sur sa copie, et qui est venue me montrer son texte en cachette?
Je ne suis arrivée à rien, a-t-elle annoncé en me tendant sa feuille. Je ne sais même pas où s'en va l'histoire.
Évidemment, elle avait écrit le texte le plus structuré et le plus original du groupe. L'un des seuls textes, incidemment, où l'on pouvait voir des ratures.
Un événement comme Livres en fête! ne tient pas du simple divertissement. Il pose à sa manière une importante question: comment encourager le talent en dehors des grands centres? Quel espace lui donner?
Clovis Roussy, un jeune de Cap-d'Espoir que je rencontrais le lendemain soir, voulait s'inscrire au programme Arts et lettres du Cégep de Gaspé. Son rêve? Devenir romancier. Manque de chance, le cégep a dû mettre huit programmes sur la glace pour l'an prochain, incluant Arts et lettres.
Clovis fera donc ses sciences humaines.
Quel sera l'effet de cette contrainte sur sa vocation d'écrivain? Impossible à prédire. Il faut parfois se peinturer dans un coin pour obtenir les meilleurs résultats. Mais parfois non.
Revenant du Cap-Espoir, il avait vu et compris tant de choses qu’il s’assit sur une petite chaise en bois. Le trône était trop grand pour lui et puis, du haut de celui-ci, les gens lui parraissaient distants. Ainsi, il se rappela et se mit à écrire le bonheur ressenti par la proximité des êtres qui comme lui, au Cap-Espoir, ont pu toucher de près à l’ivresse de partager une passion comme la littérature. Il se rappela des émotions vives qui l’habitèrent alors qu’il partagea sa flamme à un groupe de jeunes exilés vers l’avenir, se révélant comme à livre ouvert sur un petit bout de papier transportant leurs histoires.
Se concentrant plus encore, il se demanda comment transmettre tout l’espoir qu’il avait vu naître du fond de ce pays vibrant.
Il était roi à sa façon, édifiant un royaume où les mots sont porteurs d’espoir. Renvoyant chacun à sa vocation propre seulement en fesant une chose simple…en vivant sa propre vocation avec l’ouverture d’esprit qu’il faut pour transmettre la flamme du Cap-Espoir.
Il se leva, ne le sachant peut-être pas. Continua sa route, noircissant ses carnets, témoins vivants de sa passion pour la vie.
Et parsema ce monde d’histoires magiques.
ERRATUM :
« L’impression typiquement montréalaise qu’il n’existe pas de salut à l’est de Sainte-Flavie » dixit le chroniqueur ; que nenni;
dans trop de caboches montréalaises « le cosmos connu » s’arrête à la rue De Lorimier ; donc la terre et encore plate.
Faut-il étudier la littérature pour être écrivain? Non. Il faut observer ce qui se passe autour de soi, rouler sa bosse, étudier, travailler, aimer, côtoyer ses voisins, lire, aller voir ailleurs si on y est, etc. Il faut vivre et avoir la passion des mots. C’est tout. C’est pas cher. Alors, comme on dit par chez nous « où il y a de la vie, il y a de l’espoir! »
Étudier la littérature, c’est essentiel pour devenir critique littéraire. Mais pour écrire, je ne crois pas. Bien sûr la disparition des programmes de Sciences humaines, de philo, de lettres est très inquiétante, dans une société où la rapidité, l’instantané, le « tout mâché » ont pris le pas sur la lenteur, la réflexion, le débat… très inquiétant. Ça nous prend donc des têtes de cochon, des rêveurs, des penseurs pour écrire des livres, des essais, faire des films, façonner la glaise et peindre notre monde, pour qu’un bref instant un lecteur, un spectateur, s’arrête et se pose des questions…
Ne lâchez surtout pas la patate, où que vous soyez, poètes, romanciers, artistes en herbe!