Ça sent le dix-neuvième siècle, par les temps qui courent.
Combien de fois m'a-t-on répété, du temps où j'étudiais à l'université, qu'au Bas-Canada, jadis, l'éloquence tenait lieu de littérature? Pas la tradition orale: l'éloquence. Les discours parlementaires, les sermons, les plaidoyers. Rien à voir avec Fred Pellerin.
Notez bien, l'idée n'est pas récente. Berthelot Brunet écrivait déjà, en 1948, que "l'éloquence fut la poésie de ce temps ingrat".
En ces temps reculés, en effet, aucun Canadien ne se consacrait sérieusement à la littérature. Tandis que Balzac et Hugo bossaient ferme de l'autre côté de la grande flaque, nous pratiquions ici une littérature utilitaire: elle permettait de fonder une autorité personnelle, laquelle rejaillissait sur une carrière d'avocat, de politicien. Nous avions d'autres combats à mener que la constitution d'un corpus romanesque.
Jeunes étudiants au milieu des années 90, mes confrères (surtout des consours, à vrai dire) et moi regardions de haut cette époque post-glaciaire. Quelle chance nous avions de vivre dans un siècle où la littérature régnait sur son propre domaine, souveraine et autarcique!
Douze ans plus tard, je me demande si nous ne sommes pas en train de perdre du terrain, insidieusement.
Si on en croit les médias, la publication d'un livre est en passe de devenir une formalité, voire une activité résiduelle. Faire rayonner une ouvre consiste désormais à imposer son auteur sur la place publique: le secret du succès ne repose plus une critique élogieuse, mais une entrevue bien placée.
Or, maintenant que l'espace consacré à la littérature ne cesse de diminuer, le défi consiste dorénavant à se faire voir dans le rayon des affaires publiques et de l'actualité générale. Pour ce faire, on aura recours à la controverse, au scandale ou à la polémique: on enverra des lettres ouvertes, on lancera des pavés dans la mare, on rétorquera avec virulence.
Tout ça arrange certains cuistots, qui veulent moins de bouquin dans leur soupe, et davantage d'écrivain.
La position de Réjean Ducharme n'a jamais été si utopique, si exemplaire. Jacques Poulin, pourtant reconnu pour son extrême discrétion médiatique, a d'ailleurs cédé à la pression lors de la promotion de son dernier roman et a donné quelques entrevues.
Un jeune écrivain qui parviendrait à se hisser au sommet par la seule force de son ouvre, sans accorder d'entrevue ni touiller de merde? On se croirait en 1973.
L'INQUIETUDE
Me revoilà en train de culpabiliser. Chaque fois que j'exprime ici une opinion négative, je crains qu'on me traite de prophète de malheur. J'ai le pessimisme récalcitrant.
Question: êtes-vous inquiet, monsieur Dickner?
Attendez que j'y réfléchisse… Pour répondre à une telle question, ne faut-il pas d'abord évaluer l'inquiétude ambiante moyenne? Pas de quoi sauter de joie. À tous les canaux, on annonce du chômage, des morts, des typhons, du smog. Le bon vieux temps rapetisse dans le rétroviseur, vous feriez mieux d'ajuster votre ceinture et d'attacher votre casque.
Les géologues annoncent un pic pétrolier d'ici trois ou quatre ans. Les économistes spéculent sur l'implosion imminente de l'économie américaine. Les climatologues craignent la fonte du pergélisol. Les activistes annoncent la mort d'Internet, la fin de la vie privée et la disparition de la presse indépendante.
Les biologistes prévoient (dans l'ordre) la disparition des bananes, des abeilles et du phytoplancton – en fait, il ne passe pas une semaine sans qu'on enregistre la disparition d'une espèce animale ou végétale.
Les anthropologues prédisent l'assimilation des dernières tribus amazoniennes traditionnelles d'ici la fin de l'été. Les sociologues garantissent la disparition de la classe moyenne et du commerce de proximité, l'affaiblissement des centres-villes, l'étiolement des banlieues et la fermeture des régions (simultanément).
Les démographes prévoient l'extinction du fait français en Amérique d'ici quelques décennies. À tous les quatre ans, les politicologues spéculent sur l'abolition de l'État, l'affaiblissement de la gauche, la fin des majorités parlementaires.
On jase aussi de la fin de l'enfance, des systèmes immunitaires déficients, de l'accès de moins en moins universel aux soins de santé, de l'assèchement des milieux humides, de la désoxygénation de l'air, du sens critique qui fout le camp, de la liberté de presse idem et du retour de la tordeuse d'épinette. Et quand cette vague de catastrophes nous aura passé sur le corps, je vous assure qu'il se trouvera encore un petit comique pour annoncer la disparition de la littérature.
Quelle était la question déjà?
Ouin… est-ce qu’en plus il pleut ce matin, au Québec?
Malgré le sombre avenir qui s’annonce, je pense qu’Internet est appelé à devenir un espace où la littérature peut fleurir à nouveau, débarrassée du lierre étouffant du marketing.
D’ailleurs, j’ai un petit projet en tête dont j’aimerais vous parler, monsieur Dickner. Je vous enverrai un message sous peu.
Bonne journée quand même! ;-)
RÉSISTANCE et COMBAT
L’art est un combat; cette perspective guerrière et extrême sur la chose artisitique et littéraire ne se rencontre pas dans les salons ni dans les salles académiques; mais elle existe néanmoins; la littérature de combat ca existe.
Mais aussi la littérature secrète, discrète , déguisée , camouflée même, écrite par des pseudonymes ( de 1900- 1945) nos universités en parlent-elles ????.
Napoléon Lafortune l’un des fondateurs du journal Le Devoir a écrit sous 18 pseudonymes, au théâtre, dans les revues et dans les journaux d’ici et d’ailleurs ( au Manitoba , tiens tiens ). Etait-ce lui LE GRINCHEUX ?