Un écrivain peut-il gagner sa vie au Québec? On a mille fois posé la question, si bien que la réponse est devenue une sorte d'automatisme: bien-sûr-que-non-le-lectorat-local-est-trop-restreint. Question suivante, s'il vous plaît.
Cette réponse sous-entend qu'il est plus facile de vivre de sa plume à l'étranger. Peut-être pas au Danemark, avec ses 5,5 millions de danophones, mais sûrement aux États-Unis, en Allemagne, au Japon, où la population permet vraisemblablement aux écrivains de s'en tirer.
En est-on certain? Lorsqu'on y regarde bien, le gazon n'est pas toujours si vert chez le voisin. Preuve en est que de nombreux écrivains anglo-saxons, dont les livres se vendent pourtant bien, doivent garder un day job.
Plusieurs font de la pige pour arrondir les fins de mois, écrivant des articles, des commentaires et des nouvelles. Au sud de la frontière, des milliers de textes ont été commandés par de nombreux périodiques américains: Atlantic Monthly, Cosmopolitan, Saturday Evening Post, Esquire – sans oublier Playboy, la revue que l'on lit pour ses grands écrivains.
Il s'agissait d'une forme de mutualisme: le périodique obtenait du contenu original, l'écrivain encaissait un chèque. Tout le monde était content.
Mais ne nous leurrons pas, il existe toujours un matou mécontent dans la relation de mécénat. Pour plusieurs auteurs, ces commandes sont un mal nécessaire. On s'en aperçoit lorsque ces bribes se retrouvent, par la suite, colligées et publiées sous forme de livre. L'auteur se sent alors obligé de diminuer l'importance de ces textes.
Dans la préface de Welcome to the Monkey House, Kurt Vonnegut déclare: "Voici un échantillonnage de textes écrits afin de financer l'écriture de mes romans." Il ajoute, avec son ironie coutumière: "Ce sont les fruits de la Libre Entreprise."
Mordecai Richler n'est guère plus élogieux envers lui-même dans la préface de Belling the Cat, où il qualifie ses articles, reportages et opinions de "scribbling". Un peu plus et il prétendrait avoir commis ces gribouillages dans le bain, ou en parlant au téléphone.
Les auteurs sont injustes avec leurs propres textes qui, la plupart du temps, méritent la seconde vie qu'offre une publication formelle. Il y a sans doute un peu de coquetterie là-dedans, voire un brin d'anxiété.
Certes, ces textes sont forcément inégaux, autant en facture qu'en qualité: ils ont été rédigés dans un laps de temps assez bref, pour des commanditaires variés, et souvent à diverses époques de la carrière de l'auteur. Pourtant, on y trouve toujours de quoi éclairer l'ouvre d'un auteur, ses manies et ses manières. C'est le bazar de l'esprit, le marché aux puces des idées – et le lecteur dénichera à coup sûr un cendrier en verre soufflé pour l'âme(tm).
Dans certains cas, ces écrits collatéraux dépassent l'anecdotique. Je pense notamment à Jacques Ferron, qui a contribué pendant de nombreuses années au très littéraire périodique Information médicale et paramédicale. Ferron ne le faisait sans doute pas pour arrondir ses fins de mois, et on le laissait publier là des textes qui n'auraient pas trouvé leur place ailleurs. Ainsi, la première version du Salut de l'Irlande a été publiée en feuilletons, en 1966 et 1967.
De nos jours, la chronique règne sans partage – moins de l'opinion sur commande, comme le déplorait François Avard, que de l'information narrative. Un mélange d'autofiction, d'actualité et de feuilleton.
Tant qu'à faire, ne vaudrait-il pas mieux remettre le feuilleton à l'ordre du jour?
DOUBLEMENT SUSPECTES
Quelques mots (tardifs) sur les poursuites démesurées que font peser les compagnies minières Barrick Gold et Banro sur Écosociété, à la suite de la publication de Noir Canada. Des poursuites qui s'élèvent maintenant, rappelons-le, à 11 millions de dollars – l'équivalent juridique d'une détonation thermonucléaire dirigée contre un bungalow.
Tout ça afin de bâillonner un bouquin qui reprend des données déjà publiées ailleurs par des ONG, des analystes ou des experts de l'ONU.
Personne n'a expliqué le gros bon sens aux administrateurs de ces compagnies? Les livres ne font pas de vieux os dans la galaxie Gutenberg. Il aurait suffi de laisser pisser le mouton: l'affaire aurait été chassée au bout de quelques semaines par la sortie de Sex and the City. Ces poursuites, loin de blanchir la réputation des compagnies minières, les font paraître doublement suspectes.
C'est la preuve (s'il en fallait une) qu'on n'a pas besoin d'être très futé pour brasser de grosses affaires.
Voilà maintenant vingt ans, je publiais chez Transcontinental un livre d’informations pratiques sur les assurances, à la demande de l’éditeur pour qui je rédigeais déjà des articles dans le cadre de ma chronique hebdomadaire d’une de ses publications. On m’offrit alors le choix entre un pourcentage selon les ventes du bouquin ou un montant de 5000$ plus un pourcentage à partir d’un certain nombre de milliers d’exemplaires vendus.
Dois-je préciser que j’ai immédiatement opté pour le 5000$? Et vous dire que j’ai eu tout à fait raison d’agir ainsi? À moins d’avoir la certitude de détenir un futur best-seller, un tiens vaudra toujours mieux que deux tu l’auras… Et ici, au Québec, et même au Canada, compte tenu de la petitesse du marché, toute entente garantissant un montant peu importe les ventes s’avère le seul choix sensé pour un auteur.
Est-ce plus facile ailleurs pour un écrivain? J’en doute. Peu importe où l’on se trouve, seul un best-seller pourra permettre que l’on vive de sa plume ou, plus justement exprimé, de son clavier. Même Charles Baudelaire, à une autre époque, a dû se résigner à faire paraître plein de pièces de ses Fleurs du mal et de son Spleen de Paris dans diverses petites publications pour arriver à survivre.
Alors, cher monsieur Dickner, vaut mieux pouvoir compter sur une autre source de revenus en attendant le gros best-seller. Et, à tout bien considérer, rédiger des trucs pour Playboy s’avère certainement mieux que de pelleter du charbon au fond d’une mine noire de suie – sans oublier qu’on pourrait faire de bien intéressantes rencontres en allant porter ses textes chez Hugh Hefner…
Monsieur Nicolas, vous êtes une fleur qui pousse à travers les ronces.