Il en va des idées comme des opinions: il est périlleux de ne pas en avoir.
Certes, on n'est pas publiquement sommé de mitrailler des idées comme on mitraille des opinions – au point d'eau, dans le taxi, au 5 à 7 -, mais il arrive tôt ou tard un moment où l'on sera jugé pour n'avoir aucune idée. Ou trop peu.
Pourtant, n'est-ce pas une marque de santé mentale que d'admettre, en toute lucidité, sans égocentrisme, que l'on est en panne sèche? L'absence d'idée, après tout, n'indique pas nécessairement une faiblesse du muscle cognitif. Ce peut être aussi le signe d'un manque d'intérêt.
Mais il convient de se demander: l'absence d'intérêt ne serait-elle pas plus durement jugée encore que la panne d'idée?
Dans ce monde, il faut toujours garder une petite curiosité en réserve à propos de Michael Phelps, de la vague conservatrice, de la musique baroque ou du grand collisionneur de hadrons, par exemple, plutôt que d'avouer que ces grands sujets brûlants nous laissent à vrai dire un peu tièdes.
Manquer d'intérêt passe souvent pour être l'attribut des panais, patates et autres tubercules de nos vertes campagnes.
À l'évidence, les idées sont comme les fonds bancaires: il vaut mieux en avoir plutôt que le contraire. De toute façon, la qualité des idées (comme celle des opinions) est finalement assez peu prise en compte par la moyenne des interlocuteurs, et il vaut toujours mieux brandir une vieille idée pleine d'empreintes digitales plutôt que d'avouer qu'on n'en a aucune.
Pour les chroniqueurs, romanciers généralistes et autres omnipraticiens de la pensée, l'idée est le nerf de la guerre. Chaque jour, il faut en trouver de nouvelles, différentes des idées d'hier, tout en gardant le cap – car les idées doivent être cohérentes.
Mais l'idée est plus qu'une denrée: elle sépare les généralistes de ceux qui pratiquent cette littérature du tronc cérébrale que François Le Lionnais appelait la "littérature-borborygme".
Chez les généralistes, l'idée fait ou défait un homme.
J'admire les types comme Dany Laferrière, qui semblent toujours avoir une idée derrière la tête. On l'entend sur toutes les tribunes, mais jamais on ne le surprend à se répéter. Dans la Zurich des lettres, le diable d'homme semble disposer d'un compte illimité.
Certains autres – moins commodes à nommer – n'ont qu'une seule idée, qu'ils déclinent sous toutes ses formes depuis des années. Il ne s'agit pas d'idées, mais de cargos. Pour peu qu'elles aient le moindrement de tonnage, on les appellera "cause" ou "croisade", et on pardonnera plus aisément à leurs porteurs de nous les imposer.
En ce qui me concerne, j'en ai un peu marre des idées. Pour être plus précis, j'en ai marre que l'incessante nécessité de trouver de nouvelles idées me complique l'accès à d'autres portions de mon cerveau. Car il y a un prix à tout, même aux idées.
Je suis peut-être mûr pour la poésie.
LE RAGOUT
Parlant de poésie, voilà bientôt un an et demi que Yann Martel a eu idée d'expédier ses suggestions de lecture au très culturel Stephen Harper, à la cadence d'un bouquin tous les 15 jours.
Jusqu'à présent, le facteur a glissé dans la fente du 80 Wellington Street des ouvres d'Agatha Christie, Marjane Satrapi, Art Spiegelman, Gabriel Garcia Marquez, Virginia Woolf, Northrop Frye et Françoise Sagan – 37 livres en tout.
Jusqu'à présent, cette formidable bibliographie n'a reçu, pour toute réponse, qu'une lettre incolore, inodore et insignifiante de l'adjointe du premier ministre. Lorsque l'un des plus talentueux romanciers du pays, récipiendaire du Booker, vous concocte un club de lecture privé, la plus élémentaire décence ne serait-elle pas d'accuser réception?
On ne peut s'empêcher de songer que quelqu'un, ici, s'entête à jeter des perles aux pourceaux.
D'ailleurs, les plus récents choix de lecture du très flegmatique Martel laissent transparaître un début d'exaspération. Il faut dire que les récentes coupures dans les programmes culturels ont fait monter la moutarde à plus d'une narine.
Bref, la semaine dernière, Yann Martel envoyait au premier ministre Une modeste proposition, cet opuscule satyrique où Jonathan Swift suggère de lutter contre la pauvreté en apprêtant les enfants des pauvres en brochette, rôti, daube ou ragoût.
"Monsieur Harper", demande Yann Martel, "préparez-vous un ragoût?"
Je ne me rappelle pas avoir entendu une question plus pertinente récemment.
Tous les jours, nous sommes sondés sur notre opinion concernant tel ou tel sujet. Le postulat de base des sondages d’opinions, c’est de prétendre que les gens ont des opinions sur n’importe quelle question. Le problème, c’est qu’à la question posée, une très faible minorité avoue de ne pas avoir d’opinion. Ordinairement, moins de 10% des personnes interrogées admettent leur ignorance ou indifférence. Pourtant, nous donnons notre opinion la plupart du temps, non parce que nous en avons une mais parce qu’on nous demande avec insistance notre opinion immédiate. Par exemple: la couleur de la margarine, le bienfait des oxydants, le soutien à l’accord de Kyoto, etc.
Avant même d’être sondé, souvent la question ne nous avait même pas effleuré ou bien nous n’avions pas une connaissance suffisante sur le sujet pour nous prononcer. Par un miraculeux processus, le sondé donne son opinion. Il part du principe que si on lui demande une opinion, c’est qu’il doit en avoir une. Il ne faut donc pas décevoir le sondeur, il y va de sa réputation !!
L’opinion publique serait en fin de compte un processus de rectitude. Le sondé tente de s’accorder à ce qu’il pense être l’opinion générale. Il est curieux de constater la multiplication des sondages d’opinions au sein d’une majorité que l’on dit silencieuse.
Du bruit, toujours du bruit. Silence, je réfléchis. Des idées, j’en aurai peut-être et puis après…
l’art est un combat:
L’éditeur français Robert Denoël , d’origine belge , a été exécuté le 02 décembre 1945.
Si pour certains, il est mal perçu d’avoir peu d’idées, d’autres m’exaspèrent quand ils en ont. Ainsi en est-il de Stephen Harper. Notre cher premier-ministre fait montre d’un incroyable manque de respect à l’égard de la culture, alors que son gouvernement sabre sauvagement dans bon nombre de programmes de soutien aux arts.
D’un côté on achète pour plusieurs milliards de dollars d’armements, alors que de l’autre on économise une cinquantaine de millions de dollars par des coupures dans la culture… Une chance que Stephen Harper veille sur la santé économique du pays !
Toutefois, encore plus désolent que les coupures elles-mêmes, on trouve la faiblesse des protestations engendrées par elles. Notre pays serait-il à l’image de celui qui le gouverne ? Serions-nous si incultes que seuls les artistes protestent sur le sort réservé à la culture par les conservateurs ?
Quand je suis en panne sèche, je peux soit prendre un petit verre, ce qui aide parfois à remettre quelques idées en place, soit préférablement mettre le nez dans « Le Petit Philosophe de Poche » (livre de poche encyclopédique – volume double) que je garde à portée de la main depuis que je l’ai trouvé voilà plus de quarante ans déjà. Ce qui me rajeunit terriblement de dire ça, n’est-ce pas? Mais, passons…
Alors, comme je n’avais vraiment aucune idée de ce que je pourrais bien écrire à propos de ce billet posant tout de même un certain challenge, j’ai donc tendu la main et ramassé mon Petit Philosophe de Poche que j’ai prestement feuilleté jusqu’au mot « idée ».
Des réflexions relatives aux idées, j’en ai trouvé vingt-cinq. D’auteurs aussi divers et parfois même disparates que Napoléon Bonaparte, André Gide, Montesquieu, Marcel Proust, Jules Renard et une vingtaine d’autres. Rien n’a toutefois retenu mon attention.
Par contre, le mot suivant m’a immédiatement souri! Quel mot, vous me demandez? Le mot « idiot »…
Et là, j’ai pensé que ce pourrait être une bonne idée de partager avec vous les deux réflexions trouvées:
« Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet. » (Georges Courteline 1858-1929, romancier et dramaturge français)
« Un idiot pauvre est un idiot, un idiot riche est un riche. » (Paul Laffitte 1839-1909)
Avec ce petit livre de poche qui me suit depuis que j’ai seize ans, j’ai bien peu d’excuses valables pour me trouver à court d’idées. Ce qui ne m’empêche pourtant pas de le prétendre par-ci par-là, quand cela me convient lors d’une indolence passagère – ou pour un prétexte dont je me suis fait une petite collection, depuis le temps, à consulter cette ressource inépuisable qu’est Le Petit Philosophe de Poche (textes réunis par Gabriel Pomerand).
En espérant vous avoir peut-être indiqué un mode inusité de dépannage, cher Monsieur Dickner…