Hors champ

Les mots, toujours les mots

Le Canada est en crise, le Québec est en crise, l'économie mondiale est en crise, il paraît que les hipsters représentent la fin de la civilisation occidentale et que nous allons nous manger un hiver pas possible en pleine poire.

Drôle d'automne pour ratisser la Webosphère. Le genre de saison qui finit par vous inspirer un sens franchement chaotique de l'histoire et de l'actualité.

D'abord, plus moyen de savoir qui avance dans quelle direction.

Steve Jobs (l'iGourou d'Apple) annonçait en janvier dernier que l'industrie du livre électronique en général, et le Kindle d'Amazon en particulier, était une idée pitoyable puisque plus personne ne lisait. Or, qu'apprend-on? ITunes vend maintenant des iBouquins pour l'iPhone.

Je ris tellement, certains jours, que j'en attrape des crampes de mâchoire.

Non seulement la direction générale des choses est-elle imprécise, mais on peine à savoir ce qui se cache au juste sous leur surface.

Je lisais récemment, par le biais du blogue de mon collègue Steve Proulx, un article de trendcentral qui expliquait comment utiliser Google Trends pour prédire "des tendances futures". Cas spectaculaire: en superposant plusieurs années de statistiques hivernales de Google, on parvient à décrire l'évolution de l'épidémie annuelle de grippe avec deux semaines d'avance sur les organismes de prévention du gouvernement américain.

Cette histoire m'a fait songer à la "révolutionnaire" entrevue holographique de CNN durant la couverture des élections américaines. En réalité, il n'y avait pas le moindre petit hologramme là-dessous: simplement un tour de passe-passe 3D similaire à ce que l'on bricole depuis des années dans l'industrie du jeu vidéo.

Parler d'hologrammes était une simple figure de rhétorique marketing – qu'en d'autres disciplines on nomme bullshit.

Dans la même veine, on affirme prédire les tendances futures avec Google Trends alors qu'en réalité, il s'agit simplement de compiler des statistiques annuelles afin d'établir la cyclicité de certains événements. L'Almanach du peuple faisait la même chose avec la météo en 1905!

Flu Trends est-il plus sophistiqué que L'Almanach du peuple? Bien sûr, c'est indiscutable. Mais les statisticiens du laboratoire Google ne sont pas pour autant en train de réinventer le boulier chinois. L'incroyable nouvelle tient toute, en somme, dans la manière de nommer les choses.

Les mots, toujours les mots.

Le Web tuera-t-il le livre? Aucune idée. Mais si c'est le cas, alors je parie que le coup de grâce sera assené avec des outils de marketing.

PERILLEUX TAMPONS NIPPONS

Bref, des milliards de micro-événements se produisent chaque seconde dans le monde, dans le Web, et dans cette dimension du Web qui devient lentement le monde. Nous vivons une époque formidable.

Et que cherchent donc les romanciers généralistes dans cet intense fourmillement?

Des informations sur les tampons.

Ma sociologue préférée m'a récemment trouvé dans un état de profond découragement, l'air morose, dans la salle de lavage. (Oui, je travaille dans la salle de lavage.) Quel était donc mon problème?

– Les tampons japonais, ai-je grogné.

J'étais en effet aux prises avec un problème narratif tournant autour des menstruations – et, plus spécifiquement, de l'utilisation des tampons et/ou des serviettes hygiéniques dans la belle ville de Tokyo, et (encore) plus spécifiquement, de l'emballage des tampons susmentionnés.

En 1998, il m'aurait été impossible de trouver une réponse rapide à cette question. J'aurais peut-être risqué un coup de fil au consulat du Japon à Montréal, où l'on m'aurait sans doute raccroché au nez (car tel est le sort réservé aux romanciers généralistes).

En 2008, il m'a suffi de taper japanese + tampons + packaging dans Google pour que pleuvent aussitôt un trizillion de blogues menstruels, de photos de pharmacies nippones et d'analyses du marché de l'hygiène féminine en Asie du Nord-Est.

Nous vivons une époque formidable, vous dis-je!

Bref, plutôt que de réfléchir aux défaillances de ma structure narrative, je me documentais. Plus exactement: je m'étourdissais. L'abondance des informations (et surtout leur immédiate disponibilité) me détournait du vrai problème, et de ses solutions.

Le tampon me cachait la forêt.

Rien de tel qu'une bonne conversation avec un humain en chair et en os pour recadrer les problèmes. Après avoir exposé la situation à ma sociologue préférée, j'ai opté pour la solution analogique par excellence: je suis allé dissoudre tout ça dans un bain chaud.