Depuis un an, les livres pour enfants se sont multipliés chez nous. On en trouve sur le plancher, sous le divan, dans le frigo, dans le bain – et même, à l'occasion, sur les tablettes.
Plusieurs de ces livres ont été lus cent fois déjà, parfois jusqu'à la nausée, jusqu'au vandalisme, jusqu'au désir honteux de faire disparaître certains bouquins dans le bac à recyclage durant la nuit. Aah, ces envies de censure nocturne!
J'affirmais en août dernier que 80 % des livres pour enfants appartenaient au marché du bouquin gnangnan et de l'historiette insipide. On pourrait en déduire que j'ai (ou crois avoir) des goûts infaillibles en la matière. Pas du tout: j'ai encore de la difficulté à déterminer ce qui va plaire à ma fille. (Son petit frère aime tout ce qui se mâche, c'est plus simple.)
En fait, comme la plupart des jeunes enfants, ma fille n'a pas encore d'opinion très arrêtée sur la question. Pour elle, la lecture est un acte social, et le livre, un lieu de rencontre: il répond le plus souvent à ses goûts personnels – mais parfois, aussi, aux goûts que son papa tente (plus ou moins sournoisement) de lui inculquer.
La littérature pour enfants serait donc une littérature de compromis? La question est tendancieuse. Je sais seulement que, parmi les dizaines de bouquins qui jonchent nos planchers, bien peu parviennent à nous intéresser simultanément, ma fille et moi.
Il existe cependant quelques (rares) auteurs pour qui nous vibrons d'un enthousiasme commun. Le plus important – en tout cas, le plus emblématique – s'appelle Claude Ponti.
C'est ma sociologue préférée qui a introduit Ponti dans notre maison. Elle l'a découvert dans une vie antérieure, je crois, alors qu'elle faisait libraire. Toutes les libraires craquent pour Ponti, paraît-il, et plusieurs s'affligent que ses bouquins ne soient pas plus populaires. Plusieurs parents seraient apparemment un peu craintifs devant cette ouvre indescriptible et atypique.
En effet, Ponti donne le vertige. Non seulement a-t-il écrit et illustré des dizaines de livres, mais certains de ces livres sont d'une richesse incroyable. On trouve plus d'imagination dans une seule page de Ponti que dans toute l'ouvre de… aah, je pourrais citer des noms, mais je vais m'abstenir.
Bref, il est possible que le lecteur adulte ne sache pas toujours comment aborder cette ouvre bien dense, labyrinthique sur les bords. On ouvre un livre et on se sent aussitôt aspiré. C'est presque trop intelligent, trop imaginatif, trop hallucinatoire. Ça intimide.
Des livres pour enfants qui intimident? Oui, ça existe. Et personnellement, ça me rassure sur le genre humain.
"Claude Ponti", nous dit-on sur son site Ouaibe, "déteste les livres qui sont finis en cinq minutes." C'est rigoureusement exact: ma fille et moi lisons le même Ponti depuis le mois de novembre, une strate après l'autre, et découvrons sans cesse de nouveaux détails.
En fait, les livres de Ponti sont inépuisables – et c'est parfois épuisant. Certains soirs, j'aimerais bien régler le train-train dodo sans trop me casser la tête. Si ma fille réclame "les poussins!", alors c'est fichu. Impossible de lire Ponti sur le pilote automatique, il faut toujours rester alerte.
Ma fille: C'est quoi ça?
Moi: Tu parles du petit bonhomme brun sans yeux avec trois paires d'antennes?
Ma fille: Oui.
Moi: Heu… Un croisement entre un saule pleureur et un Martien?
Et c'est comme ça à cour de Ponti: vous avancez sur un terrain mouvant. Il faut trouver des explications rapides et avoir une bonne mémoire visuelle (tout le contraire de Caillou). Vous jouez sans cesse votre crédibilité de papa-lecteur, en somme.
Pas étonnant, au fond, que Ponti ait publié l'automne dernier un Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer. On y trouve plusieurs dizaines de parents improbables – mais qui, pourtant, épuisent assez bien le spectre des possibilités, si bien qu'on finit par chercher la caricature qui nous correspond.
Détail amusant/inquiétant: le catalogue contient un bon de commande. Livraison dans les 48 heures, et ramassage des parents d'origine inclus dans le prix.
Ma fille n'est pas encore en âge de remplir le bon de commande, j'ai encore un peu de temps pour améliorer ma moyenne.
Claude Ponti, Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer, L'école des loisirs
je lui transmets !
bien cordialement
FB
(dont les enfants sont grands, mais toujours les Ponti qui traînent par terre…)
voir : http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article1489
Merci de transmettre !
(Et s’il pouvait m’éclairer au sujet du petit bonhomme brun sans yeux avec trois paires d’antennes, ça serait apprécié.)
à condition qu’il sache lui-même !