Hors champ

Libre (et vide)

Je viens de terminer un roman, youkaïdi, youkaïda! Au moment où je tape ces lignes, le document pdf part chez l'imprimeur. Je suis libre. Libre et vide.

Difficile d'exprimer ce qui se passe dans le crâne d'un romancier lorsqu'il abandonne son dernier bébé, et sans doute est-ce différent dans chaque crâne, chaque romancier, aussi ne vais-je pas prétendre en connaître trop là-dessus.

En ce qui me concerne, je ressens – hormis l'inévitable vacuité – comme un vent frais. Il me revient à l'esprit une scène de La Guerre éternelle (un roman de Joe Haldeman) où l'on demandait au personnage principal si les extraterrestres puaient. Celui-ci répondait que dans une combinaison spatiale, on ne sentait que sa propre odeur.

Cette boutade résume assez bien l'écriture d'un roman. Après six mois à recycler sa petite fragrance intime, on a hâte de sortir au grand air.

Interrogés sur leur post-partum, certains romanciers affirment que les personnages leur manquent. Ça m'amuse toujours beaucoup. Un peu comme si un mécanicien prétendait s'être attaché à un carburateur ou une boîte de transmission. (Mais non, je blague.)

Vous savez ce qui – à courte échéance, du moins – va me manquer le plus? La trame sonore. Je viens de passer deux mois à écouter, de 9 h du matin jusqu'à tard en soirée, un concentré du Velvet Underground. Toujours le Velvet, jamais d'incartade. Je crois d'ailleurs m'être infligé quelques lésions neurologiques à force de repasser les 30 mêmes chansons en boucle.

S'en tenir à une seule trame sonore comporte des avantages pour le romancier généraliste: il suffit de redémarrer le lecteur de MP3 pour retrouver l'état d'esprit de la séance d'écriture précédente. Un peu l'équivalent de la phrase interrompue de Papa Hemingway (il devait travailler dans le silence, celui-là).

Bref, ma trame sonore va me manquer. Je me la repasse tout en rédigeant cette chronique, et je sens que ça cloche. Que ça ne tourne pas rond. Soupir. Exit Velvet.

Si vous saviez combien j'ai hâte, surtout, de lire autre chose que mes propres mots.

Partout dans mon bureau, des piles de livres s'empoussièrent, sans oublier ma longue liste de lectures futures, les livres à terminer, les bouquins que je comptais me procurer (on vient de publier un nouveau Poulin, non?) et quelques textes glanés çà et là sur le Web.

Il faut maintenant reprendre contact avec le monde. Liste des choses à faire: diminuer ma consommation de café, me raser chaque matin, écrire aux copains, suivre l'actualité. Aah, suivre l'actualité! Il paraît que nous sommes en pleine crise économique, vous en avez entendu parler? (Mais noooon, je blague.)

Tiens, parlant de crise, je me documentais récemment sur le Blitz de Londres lorsque je suis tombé sur les affiches de propagande conçues par les Britanniques, vers 1939, en prévision d'une hypothétique invasion allemande. Imprimés en blanc sur rouge, on peut lire les mots suivants: "Keep Calm and Carry On". Restez calme et gardez le cap.

Ça me semble un bon leitmotiv pour la suite des choses.