L'année littéraire est facile à catégoriser: deux rentrées (une à l'automne, l'autre à l'hiver), le purgatoire des beaux livres (juste avant Noël), la période du livre estival (facile ou exigeant, selon vos allégeances), une poignée de salons, quelques prix, un occasionnel scandale – et voilà, vous avez fait le tour.
J'ai parfois l'impression que l'année littéraire, lovée sur elle-même comme un vieux tuyau, pourrait aisément loger dans le coffre d'une voiture. Et encore, pas une grosse voiture. Une Renault 5, voire une Fiat 500.
Petit monde, petite vie.
Mais malgré la brièveté de ce cycle annuel, il existe encore des périodes sous-représentées. Je pense en particulier au printemps, qui est vraiment le grand nulle part de l'année.
Notez bien, ça ne veut pas dire que le printemps n'a ni réalité ni rentabilité (deux concepts que certains peinent à distinguer). Le Salon du livre de Québec, par exemple, occupe cette case horaire avec succès, et on publie au printemps plusieurs livres qui ne passent pas forcément inaperçus.
Non, je veux simplement dire qu'il n'existe aucun tiroir, aucune case mentale pour le printemps, au sein de l'année littéraire. C'est une période aux frontières imprécises, qui passe soit pour le prolongement de l'hiver, soit pour le préambule de l'été.
On pourrait d'ailleurs supposer qu'il s'agit d'une période propice à la diffusion des livres difficiles à étiqueter. La saison du bouquin ambigu, en somme.
Publie-t-on, au printemps, tout ce qui cadre moins dans des périodes plus nettes de l'année? Je pense par exemple à cette réécriture d'Orgueil et préjugés, le grand classique de Jane Austen, auquel on a ajouté des scènes de zombies. Publié il y a quelques semaines, cet ovni aurait plus difficilement trouvé sa place lors d'une rentrée automnale, à l'occasion du boum estival, ou (pire encore) juste avant Noël, parmi les livres de table à café.
Le printemps remplirait-il une fonction dans l'écosystème littéraire, l'absence d'étiquette devenant une étiquette en soi?
Pur délire! En fait, la production annuelle de livres ambigus, en particulier au Québec, ne permettrait jamais de remplir une saison au complet. Tout au plus pourrait-on lui consacrer une semaine – mais quelle semaine, mes amis! De quoi tenir un grand Salon de la Confusion et du Pas Possible. Nous pourrions lancer des titres inimaginables et inclassables, dans des bouis-bouis improbables. On servirait des crottes au fromage et de la bière d'épinette.
Ce serait, me semble-t-il, l'occasion de nous évader un peu.
Nous vivons dans un monde essentiellement programmé, formaté – et je ne pense pas seulement aux téléromans. Tout le monde se plie à la grammaire. Même les agents de la dissidence et de la subversion utilisent leurs petits moules, leurs petites recettes.
Il faudrait décidément attribuer un rôle au printemps: ce serait la saison du renouvellement et de la mue, la saison où l'on nettoie les cages – et permettez-moi de contribuer tout de suite à la cause: je vais sortir travailler sous les érables en fleurs. On annonce 29 °C, aujourd'hui. Un temps à mettre un romancier généraliste dehors.
Vous lire est un plaisir de fin gourmet, inénarrable Monsieur Dickner!
Peu importe votre propos, votre verve particulière garantit toujours un régal. Vous êtes d’ailleurs vous-même un ovni littéraire, un inclassable parmi une multitude de plus ou moins semblables.
Ne déviez jamais de votre trajectoire. Encore que ce souhait s’avère une petite recommandation assez superflue, puisque vous ne le pourriez, même si vous le vouliez…