Parmi mes trop peu nombreuses lectures de vacances, j'ai réussi à caser Chagrin d'école, le dernier (et déjà ancien) livre de Daniel Pennac.
Ma sociologue préférée l'ayant acheté en édition de poche, nous nous le sommes disputé pendant plusieurs jours, épique bagarre au cours de laquelle j'ai vicieusement déplacé ses signets, oublié le livre sous des meubles et dévoré les pages à la cadence grand C.
Conseil matrimonial du jour: ne lisez jamais simultanément un livre avec votre signifiante moitié. Rien n'use les nerfs de la sorte.
Quoi qu'il en soit, j'ai fermé le livre dans un état incertain. Difficile de se prononcer sur un texte qui traite d'un sujet aussi délicat, pour ne pas dire explosif: l'éducation de notre belle jeunesse. Car si Pennac observe le cas français, il n'existe pas de différence fondamentale entre les lycées et nos polyvalentes, et le moindre commentaire sur le propos de ce livre serait voué aux foudres publiques.
Vous cherchez un sujet plus casse-gueule que les accommodements raisonnables? La dictée à l'école.
J'hésite donc à me prononcer sur la réflexion de Pennac, pas toujours égale au demeurant, ainsi que sur la qualité du texte dans son ensemble. Il est toujours injuste (voire insignifiant) de déclarer qu'un livre n'est pas le meilleur de son auteur, en particulier lorsque le livre en question s'avère excellent. Paradoxe doux-amer: lorsqu'on juge l'ouvrage par rapport à l'Ouvre, l'auteur en ressort à la fois gagnant et perdant.
Et justement, le problème consiste peut-être à situer Chagrin d'école dans la production de Pennac. Tout en le lisant, je le comparais à cet autre ouvrage consacré au même sujet, son magnifique Comme un roman, qui remonte à 1992. Or, cette comparaison est forcément vouée à la déception: il s'agit de deux projets foncièrement différents.
Davantage qu'un essai, Comme un roman était en effet un recueil d'observations (possiblement fictives) rendues avec un biais narratif très net. Le lecteur était forcément porté à opiner, car telle est la puissance du narratif.
Dans Chagrin d'école, en revanche, Pennac entend préciser sa pensée. Il ne raconte pas, il déclare – et la déclaration est la première étape du désaccord. Le dessein de Pennac est ici, en somme, bien plus polémique: Comme un roman était un délicat mobile, Chagrin d'école s'apparente à la catapulte. Impossible de comparer les deux engins.
À la réflexion, il est plutôt intéressant de lire Chagrin d'école en regard des célèbres romans malaussèniens, dont il éclaire vaguement la genèse. On devine en effet du Benjamin Malaussène dans le ton lapidaire et goguenard avec lequel Pennac expose ses idées, raconte ses expériences de cancre et de professeur, s'enguirlande lui-même – et sans même s'en apercevoir, le lecteur remonte à la source de ce regard, de cette voix si particulière.
Cela tient sans doute à la nature autobiographique du texte, car au-delà de l'essai pédagogique – que l'on peut approuver ou décrier -, le romancier dévoile ici de grands pans de sa vie, avec une générosité habilement mesurée.
LES NAGEOIRES
Je nuance, je nuance, mais il ne faudrait pas pour autant croire que Chagrin d'école m'a déçu. Dois-je rappeler la petite guerre que ma sociologue (préférée, de surcroît) et moi nous sommes livrée autour de ces pages?
Un Pennac est un Pennac est un Pennac: ce livre regorge de passages jubilatoires, d'envolées sur la littérature, d'humanisme. On savoure la créativité de l'auteur, tant dans sa vie de cancre que dans sa carrière de prof. Lorsqu'on n'approuve pas le propos, on apprécie la manière – et on se sent même tout proche d'approuver, en fait, du seul fait de la manière. Telle est la marque des grands essais.
Pennac est à son meilleur lorsqu'il fait l'éloge du jeu: ne pas considérer le savoir comme un bête capital intellectuel, mais comme un substrat avec lequel on peut s'amuser. (Ces propos suggèrent d'ailleurs que Pennac, pourtant méfiant à l'égard du Web et des ordinateurs, aurait l'étoffe d'un geek. Il faudra enquêter.)
J'ai été particulièrement frappé par ces chapitres sur la mémorisation – ah, tous ces textes qu'un Pennac amusé faisait apprendre par cour à ses élèves! Un par semaine, des extraits parfois interminables – et ces étudiants incertains qui se découvraient soudain "une fonction nouvelle, comme s'il leur était poussé des nageoires".
Nous en reparlerons bientôt, tiens, de ces fameuses nageoires.
Je ne peux pas m’empêcher de faire allusion aux propos de Sarkozy sur La Princesse de Clèves. J’ai cru comprendre qu’il a éprouvé de grandes misères à cette lecture ou à la mémorisation de certains passages.
http://www.dailymotion.com/video/x68n3c_nicolas-sarkozy-sen-prend-a-la-prin_news
Peut-être que le professeur Pennac aurait fait la différence! ;)