Octobre, saison des oiseaux migrateurs: je visitais la semaine dernière les cégépiens de Saint-Georges de Beauce. Sans pour autant être routinières, ces rencontres avec les étudiants font partie du boulot d'écrivain: elles reviennent deux ou trois fois par année, bon an, mal an.
De quoi parle-t-on, avec les étudiants? Un peu de tout. Combien gagne un écrivain? Comment choisir un éditeur? Pourquoi y a-t-il des poissons sur la couverture de mon roman? Et même: Pourquoi mes bouquins ne sont-il pas traduits en chinois?
Je vous jure, on me l'a déjà posée. "Pourquoi tu te fais pas traduire en chinois? Ils sont un milliard, tu vendrais plein de livres!" (Comme il n'existe pas de mauvaise question, j'en ai profité pour ouvrir une parenthèse sur l'infinie complexité de l'édition, la nôtre bien sûr, mais l'internationale surtout. On n'a pas idée combien le Québec est une bulle paisible enclavée dans le grand bazar universel.)
On me soumet aussi les Classiques, bien entendu, ces questions passe-partout que chaque auteur se voit poser 12 fois par année. Où est-ce que je trouve mes idées? Quels sont mes auteurs préférés? Quand ai-je commencé à écrire? Ces questions s'avèrent d'autant plus difficiles qu'elles sont récurrentes. Sacré défi que de revisiter certains sujets à répétition.
Parfois, nous parvenons à quitter un peu les chemins battus. À Saint-Georges, je leur ai parlé de souliers – une manière comme une autre d'aborder Michel Tournier, le chat botté, et surtout la tendance des écrivains à chercher du sens en toutes choses, en particulier les plus insignifiantes.
Car voilà bien le dessein plus ou moins avoué de toutes ces invitations: dévoiler la nature de l'écrivain. Représenter l'espèce, en somme. Et il s'agit d'un mandat épineux, vu la biodiversité qui règne dans notre corps de métier. Exercice du jour: enfermez dans une salle de classe Dan Brown, Pablo Neruda et Marie Hélène Poitras, puis tentez de prouver que ces trois individus appartiennent au même genre.
J'ai visité pas mal de cégeps depuis cinq ans – j'ai perdu le compte exact -, mais rarement ai-je réussi à bien expliquer à quel endroit je me situe.
Il faut dire que, debout devant une classe, je ne révèle pas toujours le fond de ma pensée. En tentant d'exposer certaines vérités, on s'expose surtout soi-même, et personne ne tient à paraître plus bizarre qu'il ne le faut devant 75 étudiants déjà un peu sceptiques. La bizarreté est un produit inflammable.
Tenez, je vais vous illustrer ça par le truchement d'un exemple détourné.
Avant mon départ pour Saint-Georges, j'ai reçu un courriel de ma G.O. au sujet de l'hébergement. Dix lignes, efficace et professionnel. Elle me suggérait soit un bed & breakfast ("très sympa"), un motel ("peu d'ambiance") ou un hôtel quatre étoiles ("très agréable bien sûr").
La plupart des gens auraient choisi le b & b, ses proprios globe-trotters et ses confitures de fraises maison, ou encore le quatre étoiles, son sauna scandinave et sa piscine à vagues.
Moi, comme toujours, j'ai opté pour l'absence d'ambiance: le motel.
Mieux qu'une ambiance, le motel a une atmosphère. Toujours les mêmes meubles, la grande baie vitrée qui donne sur un boulevard sans âme. Le grondement de la machine à glace dans le corridor. La Bible des Gédéons dans le tiroir. Il y a toujours un psychopathe en cavale dans la chambre voisine, ou un vendeur de machinerie agricole. On se croirait dans un Hitchcock, dans un Tarantino, dans un Coen – car peu importe où il se trouve, le motel est toujours hollywoodien. Il est un motif de base de l'imaginaire nord-américain, comme les champs de maïs et les cinéparcs.
Et voilà ce que cherche le romancier généraliste: l'âme de ce qui n'a pas d'âme. L'esprit dans la machine. Les rêves héroïques de la machine à glace, tard dans la nuit.
L'esthétique du motel n'est pas seulement bizarre, elle est inexplicable – car si on file la métaphore, on s'aperçoit que refuser de loger à l'hôtel quatre étoiles ("son sauna scandinave!") revient un peu à refuser d'écrire des best-sellers de vampires. Et il s'agit, je le crains, d'une notion difficile à transmettre, à l'aube du 21e siècle.
Enfin, si vous passez par Saint-Georges, faites une escale. Les gens sont sympathiques et il y a un chouette motel.
J’aurais pris l’hôtel cinq étoiles sans pour autant recourir à tous les services.
J’ai trop fait de motels crados… ;)
Blague à part, se révéler soi-même devant un auditoire – la plupart du temps indifférent par rapport à la littérature – est un exercice très généreux que peu d’écrivains entreprennent sur une base régulière.
Votre engagement est très méritoire. Bravo!
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Le motel vaudra toujours mieux que tous les quatre étoiles ou les bed & breakfast de ce monde, en ce qui me concerne.
Étant moi-même la plupart du temps occupé par la création, qu’il s’agisse de textes ou de musique ou même de peinture, rien pour moi ne surpasse le calme plat ambiant. Le mode dérangement-zéro. Autrement, la concentration se perd et le processus de création s’enraye.
Ce grand malheur de ne pouvoir être seul, d’ailleurs, comme je l’ai lu je ne me rappelle plus trop où… Ou encore, cette quasi lapalissade à l’effet que l’enfer soit les autres… Voilà où je loge.
Alors, vivement le motel! À tout coup!
Hum… Hum … Je dois vous psychanalyser, mon cher. Allongez-vous, ça presse ! Étendez-vous, détendez-vous, sur une Grande Plaine IV. Si votre esprit fourmille, je vous permets de vous asseoir, à la condition que ce soit sur une chaise Solair. Consultez-moi, je m’appelle docteur Bourbaki.
Bon … j’arrête. Y parait que la bizarrerie est inflammable … même quand il neige à Port-au-Prince ou à Eastman, ou qu’il pleut à Chamonix, la bizzarerie est inflammable.
À la lecture de votre très intéressant billet, ce que je me demande est si je dois rallier ses deux parties en une seule. Autrement dit, est-ce que vous leur avez, à cette classe à sortir des sentiers battus, est-ce que vous leur avez servi l’exemple du motel injectable d’une solution d’âme, puisque sans âme, par écrivain en veine ?
Un motel chouette sans âme ? Décidément, oui, la bizarreté est inflammable.
Et je brûle de curiosité.