Il ne reste qu'une poignée de jours avant le solstice d'hiver et, un peu partout, on s'apprête à faire le grand bilan annuel.
À ce jour, la plupart des lexicomanes ont annoncé leur mot de 2009. Unfriend chez les Américains, minarettverbot chez les Suisses germanophones et shin chez les Japonais, ce qui signifie tout simplement "nouveau" et s'écrit sous la forme d'un kanji que mon ordinateur (pourtant fabriqué en Chine) refuse obstinément de reproduire.
J'ai aussi choisi mon petit mot de l'année personnel, mais je le garde pour moi. Il n'est pas tiré du Grand Dictionnaire Youkaïdi Youkaïda, voyez-vous, et je ne tiens pas à broyer publiquement du noir à quelques jours de Noël.
En guise de bilan, j'ai récemment entrepris de relire les quelque 160 chroniques que j'ai écrites pour Voir depuis avril 2006. Je voulais le faire depuis un moment, histoire de me rafraîchir un peu la mémoire. Un antidote au radotage, pour ainsi dire.
Mes conclusions? Elles sont multiples, mais j'en retiens au moins une: je ne suis pas doué pour prédire le futur. Pas totalement nul non plus, notez bien. Seulement, je dois reconnaître que mes chroniques spéculatives ne sont pas les plus convaincantes. (Je me demande d'ailleurs si mon récent regain d'intérêt pour la science-fiction ne viendrait pas de là.)
Amusante coïncidence, une certaine Geneviève T. me demandait justement, cette semaine, de faire mes prédictions 2010 pour le livre électronique. On comprendra qu'à la lueur de mon petit bilan personnel, je sois soudain frileux à l'idée de vous servir une nouvelle tournée de conjectures foireuses – en particulier au sujet du livre électronique, ce phénomène qui tour à tour m'emballe et m'afflige.
D'abord, précisons une chose: le livre électronique en tant que tel me laisse assez froid.
Sa version papier fait assez bien le boulot et demeure encore, en général, l'option la plus écologique. L'empreinte d'un livre en papier est relativement modeste, pourvu qu'il soit produit correctement et à partir de forêts bien gérées, puis recyclé. Un lecteur électronique, pour sa part, s'il est produit correctement… En fait, voilà bien le problème: on attend encore du matériel électronique produit (et recyclé) correctement. D'ici là, je reste sur mes positions.
Je m'intéresse beaucoup, en revanche, au texte électronique. Importante nuance. Le livre électronique, c'est la roue réinventée. Le texte électronique constitue au contraire un tout nouveau continent, un continuum textuel arrimé au Web, qui amalgame un peu tous les formats et contenus (y compris l'unité livre) et permet de les organiser, de les classer, de les faire interréagir.
Or, il ne s'agit pas exactement du modèle que l'industrie de l'édition bricole en ce moment – et voilà ce qui, en 2009, m'a éteint l'enthousiasme.
Pour l'heure, toutes les grandes questions restent en aval: les nouveaux modèles d'affaires et de distribution, la redéfinition des habitudes de lecture et d'achat, les interfaces, l'écriture et la réécriture, la mise en marché, l'épineuse question des DRM (Digital Rights Management, ou Gestion des droits numériques) – et, de manière très pragmatique, l'impact économique et juridique de tout ça.
Bien sûr, tout ça bouge peu à peu. La révolution se prépare, diraient les plus optimistes. Chaque jour, je vois des gens qui bricolent, cherchent, foncent. Des novices qui montent, des dinosaures qui s'engluent dans le bitume, des futés qui se faufilent.
Cependant, tout cela se produit encore à une échelle réduite – et pas seulement en ce qui a trait à la taille de chacun de ces acteurs, mais aussi à leur taille collective. Ce sont des sous-cultures qui font tic tac dans les replis du Web, telles des bombes à retardement.
En 2009, franchement, il ne s'est passé qu'une seule chose: le marché de la quincaillerie a explosé. Tout le monde cherche à vous fourguer ses gadgets – et comme 90 % des gens ont passé l'année à dire que la technologie était imparfaite ou trop chère, alors on peut parier sans risque qu'une bonne moitié de 2010 sera consacrée à essayer de vous vendre encore plus de quincaillerie.
Quel genre de quincaillerie? Le Nook 2.0, le Sony 900, le iTab d'Apple et quelques Kindle Killer sous plateforme Android en provenance du marché scandinave, européen ou asiatique. Peu importe.
Je peux au moins vous garantir une chose: ce n'est pas en 2010 qu'on verra apparaître un lecteur numérique made in Africa.
Vous me pardonnerez, je ne relirai pas vos 160 chroniques. Vos tags gras et gros parlent : AVENIR DE LA LITTÉRATURE …..
INDUSTRIE DU LIVRE …. LECTEUR.
Votre année se clôt avec ces principales préoccupations, mais pas les miennes. Je n’arrive pas à me questionner sur ces bibliothèques bébelles mobiles. Ces bibliothèques de poche. J’ai assez de lecture de zappeuse, j’en ai déjà assez de me battre pour continuer à offrir une qualité de lecture sur le web, s’il fallait que je me glisse un autre écran entre les doigts, je suis fini.
Tenir un livre, c’est mon face à face intime avec un auteur. Il ne faut pas me l’enlever. C’est le seul endroit où je ne ressens plus la harcelante inquiétude que des milliers de lignes s’écrivent ailleurs, que l’histoire s’écrit sans moi. J’ai un SEUL livre entre les mains. Le temps s’est arrêté. Et ça me relaxe, vous ne pouvez pas savoir comme ça me relaxe. Alors vous savez, ces bibliothèques techniques à pitons et à écran, elles pourront aller se balader dans d’autres sacoches que la mienne.
Votre prédiction ? Eh bien là, je crois que lorsque vous allez relire vos prochaines 160 chroniques dans 3 ou 4 ans, vous allez vous trouver un divin devin.