L'époque est au mashup, mes amis. Et qu'est-ce le mashup? Un nouvel avatar du bon vieux remix, apprêté à la sauce Web 2.0.
Vous prenez une ouvre et la transformez en autre chose. Vous détournez les bandes annonces, vous bricolez des chansons hybrides. Vous détournez.
Jusqu'à présent, le phénomène se limitait au domaine audiovisuel. Chansons, courts métrages – la brièveté se prêtait bien au jeu. Le roman, protégé par sa longueur, semblait à l'abri des Wisigoths. Ce n'est plus le cas, et on peut désormais savourer Orgueil et Préjugés, de Jane Austen, avec 15 % de zombies ajoutés.
Cette nouvelle version, publiée l'an dernier et cosignée par Seth Grahame-Smith, a fait couler beaucoup d'encre (sans compter divers fluides corporels).
Surprise (et joie): ce singulier roman est maintenant offert en français, sous le titre Orgueil et Préjugés et Zombies.
Je sais, je sais: je fais dans les sujets pointus, ces derniers temps. D'abord le livre électronique, puis l'université – et maintenant les zombies. Si vous n'êtes pas contents, prière d'adresser vos doléances à mon éditeur, Antoine Tanguay, principal responsable de mon engouement pour les morts-vivants.
C'est sa faute, bon.
Parlant de sujet pointu, je m'étonne que l'on ait traduit Orgueil et Préjugés et Zombies en français. La zombiphilie étant une sous-culture essentiellement anglo-saxonne, j'aurais parié que le lectorat exophone aurait déjà lu le livre en V. O. A.
Les zombies formeraient-ils une sous-culture en expansion?
Quoi qu'il en soit, l'idée de ce mashup est prodigieusement intéressante, et pas si gratuite qu'on pourrait le croire. La version revisitée repose sur l'idée que, vers 1813, la rigidité des mours sociales réduisait les sujets britanniques à se comporter en zombies.
J'en veux pour preuve l'obsession de Madame Bennet à marier ses filles. Cette préoccupation est si totale, si exclusive, qu'elle définit le personnage. En 61 chapitres, on ne voit jamais la pauvre dame s'intéresser à quoi que ce soit d'autre.
Elle est obsédée par le mariage comme un mort-vivant par la chair humaine: rien ne saurait l'en détourner, hormis la décapitation.
Vivants et zombies: des monomanes interchangeables.
Au fond, Orgueil et Préjugés et Zombies perpétue la grande tradition de critique sociale popularisée par le cinéaste George Romero avec Dawn of the Dead. Je ne peux qu'approuver.
Reste à savoir: ce genre de détournement est-il une pratique littéraire valable ou une forme de vandalisme (plus ou moins) subtil?
Chez les amateurs d'Austen, les opinions semblent partagées. Plusieurs, en tout cas, saisissent bien l'humour et le sous-texte. Sans doute la véritable question consiste-t-elle à se demander ce qui constitue le véritable sacrilège: profaner Orgueil et Préjugés, ou découvrir Jane Austen par cette version?
Ça a bien failli être mon cas, je l'avoue, mais j'ai finalement téléchargé (et lu) Pride and Prejudice, histoire de mieux goûter le décalage.
Mon verdict? Jane Austen m'a moins déplu que ne l'aurais cru, et la version zombifiée m'a moins plu que je l'escomptais. Trop d'attentes, je suppose.
Pour tout dire, j'ai trouvé qu'une tendance à l'anachronisme affaiblissait cette nouvelle version.
J'aurais aimé que Grahame-Smith invente une saveur de morts-vivants authentiquement pré-victorienne plutôt que de simplement transposer les codes de la sous-culture moderne.
Des exemples? Il utilise le mot zombie, lequel n'est attesté en anglais qu'à la fin du siècle. Il met en scène des ninjas, katanas et autres éléments nipponisants, alors que le Japon a pratiqué la politique du Sakoku (la fermeture quasi totale de ses frontières) jusqu'en 1853.
Plus problématique encore, les deux aînées de la famille Bennet reçoivent l'entraînement aux arts martiaux d'un maître shaolin chinois. En 2009 je veux bien, mais au début du 19e siècle?
On ne peut s'empêcher de sentir l'influence de Quentin Tarantino: cette nouvelle Elizabeth Bennet ressemble étrangement à Beatrix Kiddo, la meurtrière héroïne de Kill Bill.
Ces anachronismes peuvent passer pour des détails, et pourtant ils témoignent – par la négative – de ce que ce roman aurait pu être.
Bon, je râle, je râle, mais le projet demeure intéressant et mérite lecture. D'ailleurs, ces hybrides se multiplient, et un autre classique de Jane Austen a déjà fait l'objet d'une chirurgie plastique en 2009: Sense and Sensibility and Sea Monsters.
Je vous jure que je vais bientôt m'attaquer à la Scouine.
Orgueil et Préjugés et Zombies
de Jane Austen et Seth Grahame-Smith
Éd. Flammarion, 2009, 317 p.
Si la profanation a le vent dans les voiles, je me range pour ma part du côté des puristes, de ces adeptes inconditionnels du « texte intégral », sans ajouts ou modifications.
Les remakes, de chansons ou de films, arrivent très rarement à la hauteur de ce que furent les versions originales. Au mieux, ces reprises ne présentent qu’un éclairage différent, s’inspirant de l’oeuvre première – mais ne parvenant qu’exceptionnellement à un mérite propre.
En ce qui concerne la chanson, je ne trouve rien de plus détestable que ces piratages rap intégrant en trame de fond l’enregistrement original d’une chanson connue. Et pour le cinéma, ces adaptations à la mode du jour de vieux classiques, que l’on bourre d’effets spéciaux et d’explosions à tous les tournants, ne sont pour moi que des navets coûteux.
Une recherche de la facilité visant à profiter de la notoriété d’une véritable création artistique. Par manque de talent de la part de ces fabricants de toc, possiblement.
Et voilà que j’apprends que cette exécrable défoliation artistique a fait son chemin dans le jardin littéraire, lequel jardin on aurait raisonnablement pu penser qu’il était à l’abri des ravages de cette contamination opportuniste.
Il n’y a vraiment plus rien de sacré (comme le veut l’expression), à ce que je constate.