Ghettos et chapelles
Ceci n'est pas une chronique sur le livre électronique. Je le précise parce que le prétexte de départ en est, justement, le livre électronique, et que l'on pourrait aisément en déduire qu'il s'agit de mon propos principal.
Il n'en est rien.
Résumons la situation: j'éprouve une irritation croissante, depuis quelques mois, à la suite de la lecture de trop nombreux articles qui dénigrent le livre électronique.
Les mêmes arguments reviennent sans cesse. On prétend qu'il s'agit d'un phénomène dangereux, susceptible d'engendrer une littérature paresseuse, corrompue, viciée, froide, impersonnelle, peu sérieuse, facile, prêt-à-jeter – voire de mener à l'éradication pure et simple de toute littérature.
Je n'entends pas défendre ici le livre électronique. Ma position sur le phénomène est, paraît-il, difficile à cerner – et la raison en est fort simple: je n'ai pas de position. À mes yeux, le livre électronique n'est ni une bénédiction, ni une calamité, mais simplement un fait avec lequel nous devrons bientôt vivre. Dont il faudra tirer parti.
Il se trouve toutefois, disais-je donc, que ce déluge d'articles condescendants et alarmistes me donne bizarrement envie de faire l'éloge du livre électronique.
On croira qu'il s'agit d'une prise de position en faveur du progrès. Erreur. Rien à voir avec le progrès. D'ailleurs, je ne crois pas au progrès.
Non, le problème se trouve tout ailleurs.
On a maintes fois souligné les dispositions foncièrement technophobes du milieu littéraire, mais plus rarement a-t-on noté sa tendance à se peinturer dans un coin, son attirance malsaine pour les ghettos et les chapelles.
Je rêve parfois d'un grand livre qui s'intitulerait: Une histoire de la littérature moderne en 50 exclusions. Ce serait instructif. On s'apercevrait qu'elle ne date pas d'hier, cette étroitesse d'esprit qui consiste à mépriser des formats, des genres, des supports, des auteurs.
Quelques exemples?
La Littérature ne se décline pas en feuilleton.
La Littérature ne se publie pas en livre de poche.
La Littérature n'a pas de genre: ni polar, ni science-fiction, ni eau de rose.
La Littérature ne se publie pas en blogue.
La Littérature ne fait pas de compromis: elle ne s'abaisse jamais à prendre le lecteur en considération.
La Littérature n'a rien à voir avec les petits Mickey.
La Littérature ne se lit pas sur un téléphone cellulaire.
La Littérature vomit la nouvelle orthographe.
Vous voyez bien que cette chronique ne traite pas du livre électronique! Elle porte sur la philosophie, la taxonomie, la sémantique – tout ce que vous voulez à part le livre électronique. Elle porte sur cette ancienne manie de définir la littérature par élimination. De manière exclusive. Non par ce qu'elle englobe, mais par ce qu'elle écarte.
Or, pour tout vous dire, je commence à en avoir soupé.
Ne me prenez pas pour un joyeux hippie ocuménique: il s'agit d'une simple question pragmatique. Pour un écrivain, la fermeture est tout bêtement contreproductive.
Si Borges avait tenu le roman d'espionnage pour une sous-littérature, jamais nous n'aurions pu lire "Le Jardin aux sentiers qui bifurquent". Si Italo Calvino et Umberto Eco avaient méprisé le roman policier, jamais nous n'aurions eu Si par une nuit d'hiver un voyageur et Le Nom de la rose.
La vitalité (et la survie) de la littérature repose sur la diversité. Cette réalité est vieille comme le monde – allez relire Darwin et on s'en jasera.
Bref, serait-il possible d'arrêter une petite minute de paniquer au sujet du livre électronique? Il n'est pas question, pour l'heure, de remplacer le support papier, mais bien d'ajouter de nouvelles plateformes, de nouvelles fonctions, de nouvelles pratiques.
Je le répète: ajouter, pas remplacer.
La diversité est toujours positive – et je suis fatigué de voir des exclusivistes s'acharner contre cette chose même qui donne son sens à la littérature.
De toute façon, ceux qui professent l'exclusion sont toujours pris en défaut. Tout ce que l'on a dénoncé comme non littéraire l'est finalement devenu. Les lecteurs transforment le paysage, et l'Institution se plie. On a vu des thèses de doctorat sur la science-fiction, sur San Antonio, sur le roman graphique, sur les Harlequin. On en verra bientôt sur Twilight et Lost.
Vous pensez que le livre électronique n'est ni sérieux, ni littéraire? L'histoire vous donnera tort. Faites-vous à l'idée.
Ah… le livre électronique, vous dites? Personnellement, je n’en ai absolument rien à foutre de ce nouveau bidule. Si certains trouvent à y redire avec beaucoup de motifs bien sentis, et que d’autres applaudissent pour leur part à cet ajout, moi je demeure plutôt indifférent.
Ce qui fait que je ne compte nullement me précipiter vers ce mode de lecture.
Le bon vieux livre, et cela peu importe ce qui aura été écrit entre ses couvertures, m’est plus sympathique. D’ailleurs, je n’aime pas tellement ce qui passe pour du progrès tout simplement parce qu’il s’agit d’un gadget qui clignote ou qui peut fonctionner tout seul sans assistance de la part de qui que ce soit.
Et puis, avant que je trouve des vertus à ce fameux livre électronique, il faudra qu’on nous démontre que celui-ci peut favoriser la culture, aider à diminuer le nombre des quasi-illettrés en circulation aujourd’hui mais qui, tous, ont leur cellulaire multi-fonctions à la main et bavardent sans cesse dans une langue souvent peu intelligible.
Alors, si la venue de ce nouveau machin permet de hausser d’un tout petit cran le niveau de culture populaire, tant mieux. Sinon, bof…
Bon, on se met d’accord tout de suite ; ce n’est parce que je n’ai pas l’intention a priori de me lancer sur l’achat de ce bidule que je suis contre ou pour. Par contre, j’en ai pas autant soupé que vous d’entendre ses détracteurs pousser de haut cris, « alerte rouge à la littérature, la vraie » parce que comme toute personne neutre qui se respecte, je n’ai pas, à la journée longue, le nez dans toute publication où en est le livre électronique.
Je vous dirais que je suis assez déconnectée de ses connexions tellement je suis occupée à tenir ma « Canicule des pauvres » à deux mains (pas une, presque 700 pages !).
Laissez vivre et laissez lire, sur la forme désiré ou plateforme (c’est assez plat comme forme) en autant qu’on se lise et qu’on se le dise !
:-))
Pingback depuis La lecture fragile, ou la m??moire engloutie « Le d??livr??
J’ai pris le temps de relire toutes vos chroniques sur le livre électronique. Il s’y trace les contours d’une forme médiatique pas encore fixée. Je pense que bientôt, une petite porte s’ouvrira, et qu’il sera donné à quelques inconnus, des outsiders, de recevoir l’attention concentrée des médias et de la critique, sans jamais avoir une seule ligne de leurs textes imprimée sur papier et sans passer par les éditeurs traditionnels.
Pourquoi ne pas prendre de l’avance et commencer à discuter d’auteurs, d’éditeurs, de diffuseurs, de moyens de diffusion et de moyens de rémunération ?
Effectivement, il sera plus constructif d’observer ce que le livre électronique apportera comme nouvelles possibilités ; cependant, cet aspect des choses ne semble pas encore réellement exploré jusqu’à présent.
Exceptions faites notamment du fait de pouvoir joindre aux lectures des notes électroniques avec les modèles à clavier (souvenons-nous par ailleurs de l’histoire de Justin Gawronski : http://bit.ly/duqV5L) ou des effets sonores accompagnant la lecture de comic strips sur téléphones portables…
Merci pour cet article qui laisse souffler un vent de fraîcheur, et qui en inspire un autre filant un lien entre Balzac, de vieux chiffons, Archimède et cette fragile «liseuse»…
http://bit.ly/aHPij8
Je suis entièrement d’accord avec vous sur le fait que la vraie littérature ne dépend ni de son genre (BD, polar, etc) ni de son support. Mais, en fait, j’analyse le phénomène dans une tout autre perspective que la vôtre, ce qui m’amène à des conclusions bien plus pessimistes. Je suis persuadée que le livre électronique ne va pas faire mourir le livre papier, MAIS que ce dernier – en raison de ses petits tirages- ne sera plus accessible qu’à une élite ayant les moyens matériels de l’acheter. Aux moins riches et aux moins cultivés les petits « morceaux de livres », les chapitres sélectionnés par Google (qui peut vous les retirer quand il le souhaite, d’ailleurs)- bref le zapping moderne généralisé. Aux privilégiés, les livres entiers, « sérieux », « qui comptent », ce qui nous ramènera simplement quelques décennies en arrière, à une époque où la majeure partie de la population, n’avait pas accès aux livres en raison de leur prix élevé. L’avènement des éditions de poche bon marché, permettant l’accès de tous à la littérature, remontant seulement à une quarantaine d’années à peu près. C’est cela que le livre électronique me fait le plus craindre : ni un ajout, ni un remplacement, mais un terrible retour en arrière, à une époque où une infime partie de la population d’un pays avait la possibilité de lire (soit en raison de son niveau de scolarité, soit en raison de ses moyens financiers, les deux allant souvent de pair). Aux privilégiés, le plaisir de « l’objet-livre », aussi, celui que que vous ne mentionnez pas dans votre chronique : sa beauté, son odeur, sa texture, sa place dans une maison, etc., bref tout ce qui fait de la lecture une activité à la fois intellectuelle et sensuelle. Pour moi, c’est peut-être cela le vrai danger du livre électronique : pas du tout la fin de la littérature, mais celle de cette brève parenthèse démocratique d’à peine un demi-siècle pendant laquelle la population des pays occidentaux aura eu accès de façon presque équitable à la littérature.
Ça me fait drôle de penser au fait que nous puissions lire nos commentaires dans Internet, s’il avait fallu attendre leur impression, nous les aurions manqués.
Le livre, objet d’art! (!!!), devra se démarquer autant par son contenu que par ses qualités physiques.
En fait, c’est le métier d’imprimeur qui est menacé, comme celui des forgerons à l’apparition de l’automobile.
Ça me fait encore plus drôle de penser qu’une panne de courant, même en plein jour, pourrait nous jeter dans la plus grande noirceur.
J’imagine des électriciens, avec leurs petits guides électroniques dans les mains, en train de chercher une solution à une panne. Le défi: la batterie ne leur laisserait que 3 heures pour trouver… Sur le iPod: la musique de mission impossible!!! :)))