J'ai eu, au cours de la dernière année, quelques occasions de faire de la promotion dans le ROC ou dans les librairies anglophones. Bien que les us et coutumes commerciaux n'y soient pas si exotiques – ce n'est pas le Japon, après tout -, j'ai tout de même été surpris par quelques détails.
Par exemple, les signatures en série.
On vend en effet, dans les librairies anglophones, des livres signés de la main de l'auteur. Tout cela se passe sans tambour ni trompette: l'auteur débarque chez World's Biggest Bookstore, serre la pince du gérant et signe 40 ou 50 exemplaires. Parfois plus. Tout dépend de l'inventaire et du poignet de l'auteur.
Les livres ainsi griffés sont dotés d'un autocollant Signed by the Author et se vendent, me dit-on, sensiblement mieux.
Ces séances de signatures peuvent prendre des proportions épiques. Lors de ma dernière virée à Toronto, mon plan de vol indiquait une corvée de signature chez North 49 Books, un grossiste situé dans un parc industriel septentrional.
Selon mon papier, quelque 720 livres m'attendaient là. À raison de 6 secondes par livre, et une gorgée de café de temps en temps, je calculais 75 minutes de boulot.
Je m'en suis tiré à bon compte: il ne restait que 200 livres en inventaire. Nous avons expédié le boulot rondement. Quelqu'un s'occupait des caisses, quelqu'un ouvrait les bouquins à la bonne page, bibi maniait le Bic.
Exercice amusant de la semaine: signez votre nom 200 fois de suite. Après 100 signatures, votre main acquiert une volonté propre. À 150, vous oubliez votre propre nom. Passé le cap des 200, vous commencez à souffrir de légères hallucinations visuelles – des serpents et des échelles dansent devant vos yeux.
Pour tout dire, je regrette de n'avoir pas signé les 700 copies promises. Je suis resté avec, comment dire, une curiosité neurologique insatisfaite.
À l'évidence, la tradition des signatures ne date pas d'hier. On peut voir, chez North 49 Books, un mémorial informel des auteurs venus signer leurs ouvres au cours des années. Des centaines de photographies qui couvrent un bon bout de corridor, et forment un intéressant album de famille.
Roméo Dallaire se trouve là, l'air grave. Et Mordecai Richler, les tifs en bataille, les lunettes au bout du nez, occupé à signer ses exemplaires de Belling the Cat. Et Margaret Atwood aussi, avec son éternel sourire – un fait d'autant plus amusant, à bien y penser, qu'elle a inventé une machine afin de signer ses livres à distance.
On pourra juger durement ces signatures en série, en les réduisant à une manifestation de taylorisme culturel. Après tout, qu'est-ce qui différencie un livre signé à la chaîne d'une automobile, d'un circuit imprimé ou d'une petite pelle en plastique Hello Kitty?
Mais voilà: les lecteurs prisent les exemplaires signés – et qui suis-je, pauvre romancier généraliste, pour dire aux lecteurs qu'ils sont dans le champ?
Certes, il semble un peu bizarre d'accorder de la valeur à une signature toute seule, sans dédicace, griffonnée en série. Mais il ne faut pas oublier que la notion même de dédicace est, en soi, un peu bizarre.
Qui a dit, après tout, qu'au travail abstrait d'écriture, d'édition et d'impression devait idéalement s'ajouter une phase artisanale où l'auteur bricolait une phrase sur mesure pour un lecteur ad hoc?
Toute pratique culturelle est étrange. Il suffit d'aimer un tant soit peu la culture populaire japonaise pour s'en rendre compte.
Tiens, tant qu'à y être, je me demande s'il ne serait pas possible de bonifier un brin ces fameuses signatures en série…
Il me vient à l'esprit ces présentoirs d'articles pseudo-personnalisés que l'on trouve dans les Dollarama et les Canadian Tire. Vous savez, ces tourniquets où une Valérie (par exemple) pourra dénicher un porte-clés Valérie, un décapsuleur Valérie ou une tasse Valérie?
Le principe serait aisément applicable aux signatures. Il suffirait de dédicacer les livres en utilisant un bassin de prénoms choisis – avec un soin scientifique – dans les statistiques démographiques du lectorat cible: 50 copies pour Sarah, 30 copies pour Jean-Pierre, 40 copies pour Josée, et ainsi de suite.
Oui, je sais. Cette idée risque de révolutionner la promotion du livre.
Ne me remerciez pas, ça me fait plaisir.
En ce qui me concerne, lors de la publication d’un livre en 1988, je n’ai signé que ceux que je remettais personnellement.
(En espérant, bien sûr, que cela en augmente la « valeur » – un jour – pour ceux et celles à qui j’ y ai apposé ma griffe…)
Je comprends que ça doit être exténuant signer des milliers de livres. Lisez mon ironie. Il me semble qu’une séance de dédicace devrait être un moment privilégié entre l’auteur et son lecteur. Le travail à la chaîne comme ça, ça me paraît ridicule. On voit bien que le livre est devenu un produit comme un autre et on assimile l’auteur à une machine à écrire. C’est vraiment n’importe quoi. Maudite société capitaliste. Je retourne sur mon île anarchiste.
Permettez, cher Monsieur Dickner, quelques mots encore – en apparence un peu hors sujet, quoique avec un certain lien…
Dans tout le processus menant aujourd’hui à l’édition d’un livre, il appert que la dédicace d’un auteur soit la toute dernière touche bien personnelle, un vestige d’une époque où beaucoup se faisait manuellement avant de finalement aboutir chez le typographe.
À présent, le clavier de l’ordinateur a pris le relais.
Ce qui m’amène à mon petit hors sujet: curieusement, nous appelons toujours « manuscrit » le texte que soumet un auteur à un éditeur! Dans mon Petit Robert, on suggère l’utilisation de « tapuscrit » (afin de mieux réfléter la réalité).
Avez-vous déjà rencontré ce « tapuscrit » quelque part?