Ça commence avec la lecture du soir. La plupart du temps, ma fille et moi lisons des histoires. En fin de journée, j'ai un penchant pour le narratif et la vitesse de croisière. C'est mon côté Schéhérazade.
Il arrive cependant que nous feuilletions des imagiers ou des encyclopédies. Or, plusieurs de ces ouvrages présentent le système solaire. Pour le meilleur ou pour le pire.
Le plus pittoresque de ces systèmes solaires se trouve dans un vieux livre de Goldorak. Le plus fiable est dans un imagier de la nature.
Fiable est cependant tout relatif, et moi qui surveille un tant soit peu les actualités astronomiques, je ne peux regarder ces illustrations sans m'arracher les cheveux.
Mais, mais, mais, Vénus ne ressemble pas à çaaa! Où sont les grands anticyclones de Neptune? La lune n'est pas à l'échelle! Mais qu'est-ce que c'est que ce soleil en macramé?!
J'ai toujours envie de garrocher ces livres à bout de bras. Mais bon. Il faut garder un minimum de contenance devant les enfants. N'empêche, ça m'insulte. Pourquoi faut-il tolérer l'inexact et l'approximatif sous prétexte que ces livres s'adressent aux enfants?
Bref, je me suis finalement lassé et je nous ai procuré une application pour le iPod qui donne une image plus juste des planètes de notre système solaire. Plus juste et plus complexe: en 3D, repositionnable et zoomable.
À cet égard, le iPod bat n'importe quel livre en papier.
L'illumination de la Terre est même reproduite en temps réel – un outil merveilleux lorsqu'il s'agit d'expliquer ce que sont le jour et la nuit. Dans mon enfance, nos parents devaient illustrer le phénomène avec les moyens du bord: une lampe de poche et un ballon de basket.
C'est bien excitant, tout ça – et pourtant il me reste comme un malaise. Pourquoi tiens-je mordicus à ce que mes enfants voient les planètes telles qu'elles sont?
Entendons-nous, ça n'a aucune application pratique. Rien à voir avec, par exemple, les plantes sauvages. On comprend bien l'intérêt d'identifier correctement l'amanite tue-mouche, le sumac vénéneux ou le mélèze laricin.
Mais les planètes? Pure vue de l'esprit. À l'oil nu, elles se différencient à peine des étoiles. Même avec un sacré bon télescope amateur, on ne devine guère que les anneaux de Saturne ou les phases de Vénus.
Alors pourquoi faudrait-il mordicus accorder de l'importance à l'exactitude de leur représentation? Au nom de la Vérité?
On se demande bien ce qu'elle vient foutre chez nous à l'heure du conte, la Vérité. Grotesque comme un ballon météorologique égaré parmi les chats bottés, les ogres et les djinns.
La Vérité. Tout juste bon pour les adultes.
Graine de Schéhérazade
Qui sait combien de dizaines d'heures nous avons passé à lire et relire et parcourir Le Tour du monde de Mouk.
Il s'agit sans conteste du livre que nous avons le plus fréquenté, ma fille et moi. Fiston aussi commence à s'y intéresser. Heureusement, les pages sont increvables, faites d'un papier couché qui évoque presque le plastique. La reliure a lâché, mais je l'ai rafistolée au duct tape.
L'auteur et illustrateur Marc Boutavant y narre le voyage d'un ourson qui visite ses amis à vélo, depuis le cercle polaire jusqu'aux rues de Manhattan. Aucun continent n'est négligé – hormis l'Antarctique – et les pages foisonnent d'une multitude de détails, de plaisanteries savantes, d'allusions.
Outre le côté divertissant du livre, j'aime la précision avec laquelle Boutavant illustre cette odyssée miniature. Elle nous a permis, à ma fille et moi, de discuter de la fleur du bananier, de la germination des noix de coco, des ruches africaines et des pâtisseries japonaises.
En un mot: c'est documenté. Le plaisir n'exclut pas l'exactitude – une approche qui plaît au papa tatillon. Grâce à Mouk, ma fille et moi nous rencontrons à mi-chemin.
Mais ce mi-chemin se trouve-t-il bien là où on le croit?
Ce matin, alors que nous lisions Mouk pour la trois millième fois, ma fille s'est exclamée, avec une soudaine perplexité: "Mais dans la vraie vie, papa, les animaux ne sont pas habillés!"
Non, ai-je convenu. Et ils ne parlent pas non plus.
Pendant quelques secondes, ma fille a médité là-dessus. Je l'ai sentie flotter au-dessus du livre, un mètre en retrait du réel, occupée à jauger le poids des choses: la vérité, la fiction, et l'entre-deux.
Ainsi devient-on Schéhérazade.
J’ai lu ce texte à haute voix à mon chum. Pourquoi ? Il adore entendre parler de système solaire (presque autant que de plantes d’ailleurs) et aussi parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un texte à voix haute et que ça me manquait.
Ce qui fait que je deviens le porte-parole de mon chum ici, ce qui n’est pas évident parce qu’il a la parole savante et je dois quand même dire ça en mes mots. Il croit fermement que le système solaire a une application pratique aussi importante que les plantes. Il prend l’exemple de Jupiter qui sert de bouclier à la Terre, interceptant des astéroïdes ou comètes qui auraient pu, au cours des âges, entrer en collision avec la Terre.
Ceci étant rapporté, il a aimé le texte, et c’est sa mimique admirative accompagné d’un « C’est beau » qui en a dit long (y a pas toujours l’air savant quand même).
Personnellement, ce que j’ai aimé dans ce texte est la réflexion du fictif du réel passant sur la pellicule des yeux de votre fille. Je la comprends d’être bouleversée, moi je suis encore convaincue que les animaux parlent, même s’ils ne portent pas de salopettes.
Il faut tout de même laisser la place à l’imagination et à la mémoire. L’Ipod se substitue à eux, et nous rend esclave, dépendant.