J'aime bien les bibliothèques vieillottes – je pense à celle de mes parents, par exemple, qui certes s'est enrichie au cours des décennies, mais dont les strates les plus profondes se sont tout de même déposées au cours des années 60.
Aucune vente de garage, aucun bac de recyclage n'a altéré son contenu: elle demeure intacte.
On y trouve encore toutes sortes de mirifiques vieilleries, depuis l'Encyclopédie de la femme canadienne jusqu'au dictionnaire Bélisle (acheté en livrets et relié avec de gros rivets en cuivre), en passant par de vieux manuels de sciences naturelles, quantité d'encyclopédies, et les inévitables anthologies du Reader's Digest.
L'étonnant ne tient pas seulement dans ces titres, bien sûr, mais dans leur juxtaposition: Il est minuit, docteur Schweitzer de Gilbert Cesbron peut voisiner, par exemple, avec L'Instinct de mort de Jacques Mesrine.
La bibliothèque de mes parents est un cadavre exquis.
Sans doute mon éducation de romancier généraliste a-t-elle commencé là, dans la fraîcheur du sous-sol familial. Je ne sais pas quel genre d'écrivain je serais devenu si nous avions eu une bibliothèque plus cohérente – constituée, disons, par un théologien monomane ou un obsédé de mécanique diésel.
Non. À la maison, nous avions une bibliothèque généraliste. Le royaume du savoir aléatoire et de la connaissance lâchée lousse.
Or, parmi les ouvrages les plus généralistes, se trouvaient ces petits livres de connaissance générale. Ils s'intitulaient Le savez-vous? ou Mille questions amusantes.
Sur la couverture jaunie, une paire d'enfants s'abreuvaient à la source du savoir, sagement assis à la table de la cuisine – au lieu (bien sûr) d'aller bouter le feu aux ordures dans la ruelle.
Ces opuscules étaient organisés par pages thématiques – ainsi pouvait-on, de section en section, apprendre ce qu'étaient le chlorure de sodium, la ville aux sept collines, les noces d'étain ou la capitale du Dahomey.
Ça ne servait pas à grand-chose, mais ça épatait les cousins. Elle commence jeune, la fascination pour l'érudition inutile.
J'ai encore déniché un de ces bouquins dans une bouquinerie, l'été dernier. Je n'ai pu m'empêcher de l'acheter, tant ces pittoresques bouquins exercent encore leur attrait sur moi. Il s'agit d'une "édition révisée" (et néanmoins moisie) de Here's the Answer, un recueil de questions/réponses colligées par Albert Mitchell.
Albert Carlyle Mitchell (1893-1954): animateur américain qui, 30 années durant, joua le rôle de l'Answer Man sur les ondes radiophoniques américaines. Avec l'aide d'une vaste équipe de collaborateurs, Mitchell répondait aux innombrables questions que lui envoyait son auditoire.
Quelques exemples?
À quelle vitesse se déplace une balle de fusil? Le fer perd-il du poids en rouillant? Quelle est la longévité d'un goéland? Pourquoi les Maoris se font-ils tatouer le visage? Peut-on transformer la soie d'araignée en étoffe?
Dans un siècle modelé par la science et la technique, Mitchell était la nouvelle Pythie: on le consultait afin d'obtenir réponse aux plus obscures angoisses.
C'était hier. De nos jours, on peut identifier au moins une tendance éditoriale claire et indéniable: le marché de ces petits bouquins frise désormais le zéro absolu (- 273,15 °C).
La raison en est si simple que je crains de vous insulter en la décrivant ici: le Web fait désormais office d'immense Le saviez-vous?.
Votre dose d'érudition aléatoire vient maintenant de Wikipédia, de YouTube, de Reddit. Si on trouve encore d'excellentes chroniques telle The Straight Dope (rédigée par l'insaisissable et légendaire Cecil Adams), il faut reconnaître que le mandat est désormais rempli par le Web social.
Aujourd'hui, les Livres pour épater la galerie constituent des exceptions. Je pense, par exemple, à Uncyclopedia, cet ouvrage publié en 2003 par le journaliste Gideon Haigh (spécialiste de cricket, dit-on), et que j'ai conservé sur le réservoir de ma toilette pendant un an ou deux. Au cabinet des curiosités, pour ainsi dire.
Il s'agissait d'une lecture amusante, et l'édition de bonne qualité – cartonné avec jaquette – faisait presque oublier qu'il s'agissait d'un fossile vivant. Le dernier de ces ouvrages qui occupaient, il y a 30 ans à peine, leur propre niche écologique.
Ce biome florissant est, aujourd'hui, devenu le gisement de bitume de La Brea.
(Pour plus d'informations au sujet de l'étonnant gisement de La Brea, je vous invite naturellement à consulter Wikipédia…)
Très beau billet. Quand vous écrivez que « le web fait désormais office d’immense Le saviez-vous ? », je pourrais répondre par ce qui est dans l’ère du temps, Qui veut savoir ? Bientôt plus personne ne saura rien. Nous allons évacuer nos facultés mémorielles parce que nous serons tous branché à un ipad connecté directement sur Wiki. Et hop, tape touche, voilà la réponse. Ce qui suivra, bien sûr, est bien pire et je vous laisse le deviner.
Hasard, coïncidence ou influence de la pleine lune, je me suis justement procuré, mardi dernier, la Nouvelle petite encyclopédie de culture générale insolite, chez City (2009). On y apprend entre autre les origines botaniques de la première bulle spéculative de l’histoire, l’itinéraire du crâne de Descartes et le sexe du Chevalier d’Éon. J’aime aussi épater ma petite galerie de cégépiens… Vivement la rentrée!