Chronique portes ouvertes
Hors champ

Chronique portes ouvertes

L'été, toujours l'été – et les lecteurs qui gambadent, qui folâtrent, qui jouent au boulingrin lacustre. Et qui, pendant ce temps, se tape blogues et journaux? Qui pose son regard sur les pétillantes publicités de nos commanditaires? Vous, peut-être?

C'est bien ce que je pensais…

Profitant de ce bienheureux calme estival, j'y vais d'une troisième et ultime chronique furtive. Pas de panique: le livre électronique n'est pas au programme cette semaine. Puisque nous sommes entre nous, n'est-ce pas, dans l'intimité, je vous propose une visite portes ouvertes.

En d'autres mots: comment se construisent mes chroniques?

L'entreprise peut sembler un brin présomptueuse dans la mesure où je ne suis pas le chroniqueur le plus expérimenté en ville, ni le plus compétent.

Il se trouve cependant que chaque chroniqueur exerce son boulot d'une manière unique – et cette singularité nous autorise à témoigner de notre expérience avec l'autorité de celui qui, tel Charlie Brown, se sait seul sur son monticule.

Je ne vous parlerai pas de la forme que prennent (ou s'efforcent de prendre) mes chroniques. Il existe un certain nombre de formats et procédés canoniques. Je les connais, mais suis incapable de les reproduire. Ne me demandez pas pourquoi, mais je suis réfractaire aux formats.

Au royaume des vertébrés, mes chroniques sont des méduses.

Non, je ne veux pas vous parler de la forme de mes textes, mais de la manière dont ils prennent forme. Bienvenue dans mon chaos, attention à la marche.

Règle générale, l'écriture d'une chronique débute le vendredi matin vers neuf heures. Mon heure de tombée – que je parviens à respecter près de la moitié du temps – est midi pile. Je dispose donc de trois heures pour pondre mes 720 mots.

Un cadre temporel bien défini est essentiel: plus on a de temps pour écrire une chronique, plus on risque de s'y empêtrer.

Tenez, par exemple: les quatre dernières chroniques, incluant celle-ci, ont été rédigées d'un coup, début juillet. Or, j'ai consacré plus de temps à rédiger ces quatre textes ensemble qu'il ne m'en aurait fallu pour les écrire séparément.

Conclusion: vive l'heure de tombée!

La première tâche consiste à trouver du matériel. Les bons jours, je travaille à partir d'un brouillon mitraillé au cours de la semaine. Les mauvais jours, je fais le chalutier: je racle le Web en quête de colacanthes égarés. Au final, ça ne change pas grand-chose. Aucune méthode ne garantit de meilleurs textes.

Une fois muni de mon matériel, je cherche l'angle d'attaque. Le propos. Ou, mieux encore, l'histoire – les chroniques narratives sont toujours les plus agréables à écrire.

Plus que le matériel, l'angle d'attaque détermine la manière dont se déroulera mon avant-midi. En de rares occasions, la chronique s'écrit d'un trait. Une heure, tout est en place. Parfois, il s'agit d'un ouf carré: un texte écrit dans la souffrance, un mot à la fois.

Le plus souvent, en revanche, je travaille comme une araignée.

J'écris d'abord des notes rapides, que je développe par à-coups, dans toutes les directions. Mes chroniques ne s'écrivent jamais dans l'ordre, mais plutôt en allers-retours, voire à rebours. Elles zigzaguent selon mes détours sur Wikipédia et dans ma bibliothèque.

Plus il y a d'allers-retours, plus il me faudra accorder une attention particulière aux raccords. Mal raboutée, la chronique prendra des airs de Frankenstein: une paire de boulons dans les tempes et douze points de suture en travers du nez.

Passé dix heures et demie, j'accorde une attention croissante au calibrage. Si la chronique dépasse les 720 mots, je joue du scalpel. Si, en revanche, elle n'atteint pas les 700 mots, je greffe des organes supplémentaires.

Vers onze heures et demie, il ne reste que la plomberie: éliminer les tics et les répétitions, soigner les verbes, préciser un terme, faire sauter quelques adverbes.

Le temps d'une dernière relecture, et j'envoie à la rédaction.

Comme il est de bon ton, dans toute visite portes ouvertes, d'y aller avec une petite confidence, je vous avouerai ceci: hormis les contraintes de temps et d'espace, j'écris mes romans de la même manière. Pratiquement aucune différence entre les deux pratiques. Vous pensiez lire ici un chroniqueur, alors qu'en réalité vous aviez affaire à un romancier généraliste.

Voilà qui conclut donc notre brève visite dans les coulisses de Hors champ. La sortie est à votre gauche, m'sieurs dames. N'oubliez pas le guide, merci.