Mes lectures les plus stimulantes des dernières années ont été, pour l'essentiel, des romans de science-fiction.
M'étant tapé à la fois des classiques et des bouquins récents, j'ai été fasciné de constater que, plus les années passent, plus la science-fiction intègre la science et la technologie de manière fine, dense et précise.
Prenez Starship Troopers, le grand classique de Robert A. Heinlein, où les Terriens mènent leur première guerre interstellaire, contre une race d'arthropodes intelligents.
Pour le lecteur de 2010, ce roman pourrait facilement sembler banal – aussi faut-il garder à l'esprit que sa publication remonte à 1959. Heinlein devançait de plusieurs décennies les Alien et autres Avatar qu'allait un jour produire Hollywood.
Cela étant dit, ça n'a pas empêché les successeurs de Heinlein de peaufiner la franchise.
Je pense bien sûr à The Forever War, un roman de Joe Haldeman, publié en 1975, et qui raconte aussi (quoique très différemment) notre première guerre en dehors du système solaire.
Les deux romans reposent sur le voyage à une vitesse quasi luminique – un ingrédient inévitable des promenades interstellaires. La différence? Chez Heinlein, les personnages se contentent de voyager super-vachement-très-vite. Heinlein balaye le problème de la distance sous le tapis, ni plus ni moins.
Joe Haldeman, au contraire, pousse le concept beaucoup plus loin, en utilisant le paradoxe des jumeaux – cette illustration célèbre de la dilatation temporelle décrite par Einstein dans sa théorie de la relativité restreinte.
Résumons le concept ainsi: plus un sujet se déplace rapidement, plus le temps s'écoule lentement.
Résultat? Pendant que le narrateur de The Forever War voyage plusieurs mois à une vitesse quasi luminique, quelques décennies s'écoulent sur Terre. À son retour, il est complètement mésadapté, un ancêtre dans un corps de 23 ans.
La distance entre les deux approches est abyssale. Alors que Heinlein néglige la relativité comme une vieille chaussette, Haldeman s'en sert comme puissant moteur narratif. Il met la science au service de la fiction.
Vous êtes toujours là? Alors prenons un autre exemple, dans le domaine de la biologie cette fois-ci.
Dans Starship Troopers, les extraterrestres sont à peine esquissés. Il s'agit, en somme, de gros insectes sociaux calqués sur les fourmis. Heinlein se borne à décrire quelques castes, un brin d'anatomie, et passe à l'appel suivant.
Rien à voir avec Blindsight, un roman de Peter Watts publié en 2006, qui raconte notre premier contact avec une forme de vie extraterrestre intelligente.
Peter Watts est biologiste marin, aussi s'amuse-t-il à disséquer (littéralement) ses extraterrestres jusqu'au niveau moléculaire, insérant de fascinantes parenthèses sur les protéines, le métabolisme et l'influence des contraintes physiques sur le comportement animal.
Robert Heinlein était précurseur. Peter Watts incarne la maturité.
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Ce genre de comparaison doit être prise avec un grain de sel, bien sûr, dans la mesure où différents romans incarnent différents projets, différentes intentions. N'empêche, il y a là matière à réflexion.
Matière, en fait, à poser une question: s'agit-il d'une amélioration? Est-ce le progrès à l'ouvre?
Ici, prière d'insérer un court-circuit. Étincelles, flammèches, boucane.
Dans certaines disciplines, la notion de progrès est fondatrice. En science, les modèles doivent être sans cesse affinés, ajustés. En informatique, chaque génération de logiciels ou de quincaillerie est (supposément) plus performante, plus complète que la génération précédente.
En littérature, nous touillons une tout autre soupe.
Pour les romanciers, le progrès n'est pas une notion admise. Nous flottons dans un constant relativisme historique et personne n'oserait comparer les Anciens Canadiens et Neuromancer.
Quelle était la question, déjà?
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Je suis récemment tombé sur un de mes livres d'enfance: Mon encyclopédie en couleurs, publié chez Fernand Nathan en 1971.
Sur la couverture figure le Concorde. Autrement dit, le Futur – et pas au sens figuré: à l'intérieur du livre, on précise que le Concorde est encore au stade des vols d'essai, et que sa mise en service aura lieu en 1973.
Rappelons, au cas où vous débarqueriez tout juste d'Alpha Centauri, que le Concorde a été mis hors service en 2003. Il en reste un exemplaire, épinglé sur le tarmac de Roissy-Charles de Gaulle comme une mante religieuse géante.
En 1971, le Concorde représentait l'étape suivante du progrès, l'orée du futur. La promesse qu'un jour nous pourrions tous faire Montréal-Paris en trois heures trente.
En 2010, le Concorde est un mirifique cul-de-sac évolutif.