Un romancier le moindrement actif reçoit quelques invitations par saison. Festivals, colloques, salons et autres séances de signatures, il se passe toujours quelque chose quelque part.
Or, ces invitations ne sont pas également distribuées, si bien que l'on peut passer six mois à attendre que le téléphone sonne, puis passer les six mois suivants à tout refuser.
La gestion de l'horaire peut devenir un casse-tête. Il suffit que trois ou quatre invitations déboulent en même temps et, soudain, la vie ressemble à une longue succession de cases.
Les cases occupées et les cases réservées, les cases d'au cas où, les cases intouchables et les non négociables, les cases tristement vacantes, sans oublier les cases où l'on n'a tout simplement pas envie de mettre quelque chose.
Si bien que, de temps à autre, on se demande si le jeu en vaut la chandelle.
Évidemment, l'écrivain qui dédicace une masse critique de livres ne se pose pas la question. Il a rendez-vous avec ses lecteurs. L'auteur moyen, en revanche, ne peut jamais savoir à l'avance. Certains festivals apportent la gloire. D'autres, la honte et l'humiliation.
Je me souviens d'un salon où je faisais le pied de grue à côté de l'auteur d'un livre sur la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Lorsque je lui ai demandé comment ça se passait, il a lâché un "bof" morose: il n'avait signé qu'une cinquantaine de livres dans l'après-midi.
Pour ma part, j'en étais à quatre pour la fin de semaine au complet.
Refuser ou accepter, on ne sait jamais trop, et il m'arrive souvent d'accepter une invitation parce que le comité organisateur m'est sympathique.
Il n'est pas rare, en effet, que le facteur humain pèse autant que le prestige ou les moyens financiers. Certains gros festivals notoirement friqués me déplaisent. En revanche, je serai toujours disposé à visiter certains petits événements situés à l'autre bout du pays.
Bref, tout dépend.
Je rêve parfois d'intégrer tous les facteurs de décision dans une belle équation claire. Lorsqu'une invitation arriverait dans ma boîte de réception, il me suffirait de la soumettre à l'équation pour prendre une décision rapide. Oui ou non.
Finie la tyrannie des cases.
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Au moment où vous lirez ces lignes, je serai en Australie afin de participer à deux festivals. (Me souviens d'avoir hésité une grosse semaine avant d'accepter ces invitations.)
Fait géographique amusant: l'Australie est un pays qui se comporte comme un continent. (Stephen Harper aimerait bien en dire autant du Canada, lui qui visite désormais Iqaluit chaque été en distribuant des petits unifoliés en plastique.)
Autrement dit, l'Australie occupe un territoire assez vaste pour que deux importants festivals littéraires coexistent dans la même case horaire, séparés par un nombre de kilomètres suffisant pour que lesdits festivals ne se sentent pas mutuellement menacés – mais qu'au contraire ils s'échangent des auteurs avec désinvolture. Ce qui est mon cas.
Les deux villes en question sont Brisbane et Melbourne, distantes de 1800 kilomètres et 8 degrés Celsius. J'emporte une petite laine, le printemps austral s'annonce frisquet.
Autre fait géographique amusant: ces deux villes se trouvent en dehors de la clôture d'exclusion des dingos – ce rempart grillagé de 5600 kilomètres qui empêche les dingos et autres gros chiens sauvages de pénétrer dans le sud-est du pays.
On trouve en revanche sous Melbourne (et à l'insu des Melbournois eux-mêmes) une supercolonie de fourmis qui s'étend sur plus de 100 km. Pas de dingos au programme, donc, mais j'entends bien tenir les fourmis à l'oil.
Pardon? Et la littérature australienne, elle? Vous me prenez au dépourvu.
Vous ai-je déjà parlé de mon inaptitude à me préparer pour les festivals à l'étranger? C'est bien ce que je pensais.
En ce qui concerne la littérature, je vous promets d'enquêter – mais franchement, je parie que vous serez plus efficaces à distance, aux commandes de Google, que moi sur le terrain. La littérature n'est pas comme une colonie de fourmis, enracinée dans le solage sablonneux du territoire.
D'ailleurs, on rencontre plus souvent qu'autrement des auteurs étrangers dans ces festivals. C'est justement le but de l'affaire.
Pour ma part, j'espère plutôt rencontrer les lecteurs australiens.
Enfin, si vous y tenez, je vais poser des questions aux natives. Je griffonnerai même des notes dans mon Moleskine. J'aurai l'air d'un vrai journaliste.