Hors champ

Voyage en Globalie

Et puis, l'Australie?

Je pensais surtout noter les particularités du pays, mais ce sont des similitudes qui m'ont sauté aux yeux – en particulier les mêmes 200 marques de commerce qui saturent tous les centres-villes du monde: Hermès, Vuitton, Starbucks, Lululemon, North Face.

Vous voulez quitter ce labyrinthe? Il vous faudra en traverser un second: celui des imitations chinoises – si bien qu'il faut vraiment s'acharner pour sortir à l'air libre.

Cette saturation ne touche pas que le méga-commerce de la guenille ou du fast-food, mais aussi celui, plus modeste, des librairies. "Hier, demain, toujours", comme disait tonton Baudelaire; ce sont partout les mêmes lutteurs de sumo qui occupent les étages supérieurs des palmarès. Mange, prie, aime et autres Millénium.

À ce chapitre, rien n'est plus troublant qu'une librairie d'aéroport.

Ces librairies appartiennent à ce que l'on nomme, dans le jargon de l'industrie, la "grande diffusion" – ce circuit qui comprend la Maison de la presse internationale, le Jean Coutu du coin, voire parfois le Canadian Tire.

Certainement pas la place où vous trouverez le dernier Patrice Desbiens.

La librairie d'aéroport n'a pas un centimètre carré à gaspiller. Vu le coût des loyers dans la zone internationale, l'inventaire ne se compose que de la strate supérieure des gros vendeurs. La crème de la crème du rentable.

La grande diffusion est toujours globalisante. Certes, on ne trouvera pas les titres de Janette Bertrand au 7/11 de l'aéroport John F. Kennedy, mais il n'en reste pas moins qu'une portion importante (voire dominante) des titres de grande diffusion vient du marché international.

Si bien qu'un voyage en Australie prend facilement l'air d'un voyage en Globalie.

Baroud d'honneur

La toute première chose que l'on m'a dit sur l'Australie – avant même que je quitte le stationnement courte durée de l'aéroport de Brisbane -, c'est que les livres y coûtaient cher.

Je suis allé en librairie, et je l'ai constaté. Le moindre bouquin se vend au moins cinq dollars de plus qu'ici. La tendance s'accentue nettement avec les éditions hardcover, lesquelles grimpent facilement dans les 30 dollars.

Croyez-moi ou non, j'ai même vu ce cas extrême: une version rigide de The City & The City, un roman de China Miéville, 300 pages à tout casser, qui se détaillait aux alentours de 60 $.

Chose étonnante, on pouvait aussi acheter l'édition de poche, à un prix plus normal, ce qui bien sûr suggère la question suivante: qui donc achète la version à 60 $?

Je me suis rappelé l'époque où les mélomanes, les vrais, achetaient en importation des raretés qui coûtaient la peau des fesses – mais dont la possession assurait un statut de dur à cuire culturel.

Mais pourquoi les livres sont-ils si chers en Australie? À cause du Copyright Act de 1968, qui impose des restrictions sur l'importation parallèle.

En gros, une édition américaine ne peut être vendue par les librairies locales si une édition australienne est aussi disponible – ou le sera dans les 30 jours suivants -, et ce, même si l'édition américaine est moins chère (ce qui est forcément le cas).

Il s'agit donc d'une forme de protectionnisme, que les lecteurs contournent en achetant massivement sur Amazon, il va sans dire.

Bienvenue en Globalie: un monde où il coûte moins cher de commander un bouquin sur un autre continent que de l'acheter au coin de la rue.

Dans le fond, il s'agit un peu de notre bataille pour le prix unique – mais au lieu de se jouer entre la banlieue et le centre-ville, elle se joue autour du bassin du Pacifique.

Effet collatéral, on trouve un nombre stupéfiant de bouquinistes au centre-ville de Melbourne. Ces commerces occupent souvent les caves et, du trottoir, on ne voit qu'un escalier qui plonge à pic, dans la lumière chirurgicale des fluorescents. Un peu glauque, en somme. Rien à voir avec Shakespeare et Cie.

Mais glauque ou pas, cette sous-industrie semble florissante – si florissante, en vérité, que plusieurs de ces bouquinistes parviennent à se spécialiser dans le livre pour adultes.

Que survivent encore de tels établissements, en cette époque où n'importe qui peut télécharger des téraoctets de porno gratuite sur le Web, me semble presque émouvant.

Une sorte de baroud d'honneur.