Les heureuses trahisons
J'exècre cette manie toute moderne qui consiste à croire qu'un roman n'atteint son plein potentiel qu'au moment où on l'adapte pour le cinéma. Cette idée suggère que le livre ne peut se passer du cinéma – alors que c'est plutôt le contraire.
Peut-être suis-je simplement irrité par l'intention visiblement (et viscéralement) commerciale qui se cache derrière la plupart des adaptations. Il s'agit de presser le citron un peu plus, jusqu'à la pulpe.
Si au moins ces adaptations étaient bonnes… Mais non.
Il existe un vice fondamental dans notre conception de l'adaptation: nous y pensons en termes de fidélité. Pour tout dire, nous sommes obsédés par la fidélité – même lorsqu'il s'agit de fourrer une épopée de 800 pages dans 127 minutes de pellicule – et cela donne des films lourds, obèses, où l'on cherche à tout caser afin de ne décevoir personne.
Ces adaptations font souvent fausse route. Non que la fidélité au texte original soit une mauvaise notion. Seulement, nous confondons fidélité et littéralité.
L'adaptation constitue, à l'instar de la traduction, un art foncièrement odipien: fondé sur la trahison. Une heureuse adaptation n'est rien qu'une heureuse trahison – et s'il faut que la fidélité soit un critère, on dira alors, ô paradoxe, qu'il s'agit de chercher la fidélité par le biais de la trahison.
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Béni soit Éric de Larochellière, pilote des éditions du Quartanier, qui m'a récemment aiguillé en direction d'une série diffusée l'été dernier à la BBC.
Une bien drôle de série, pour tout dire, sans doute formatée sur mesure pour les besoins de la télévision d'État britannique. Trois épisodes de 90 minutes. Ni tout à fait des épisodes ni tout à fait des films.
Cela s'intitule Sherlock, et on y adapte les célèbres aventures de Sherlock Holmes et John Watson, écrites par Arthur Conan Doyle.
Rien de nouveau sous le soleil, grognerez-vous. Sherlock Holmes compte en effet parmi les personnages littéraires les plus souvent repris à l'écran. Le Livre des records Guinness évoque pas moins de 75 comédiens dans quelque 211 films, ce à quoi il faut ajouter les adaptations télévisuelles, radiophoniques et théâtrales.
Il faut être culotté pour s'attaquer à une telle figure, ce qui explique peut-être l'abondance de variations fantaisistes, d'excès burlesques et autres parodies. Chose certaine, la toute récente adaptation produite pour la BBC s'avère exceptionnelle sur au moins un aspect: on a décidé de recadrer les aventures de Holmes en 2010.
Dans le synopsis officiel de la série, on affirme que "Sherlock Holmes a toujours été un homme moderne". Or, cette modernité s'exprime ici, vous l'aurez deviné, par un constant recours aux téléphones intelligents, à Internet, aux GPS.
Les puristes diront volontiers qu'il s'agit d'un procédé gratuit, anecdotique. Un banal agent de rebondissement narratif.
Pourtant, les textes de Conan Doyle sont limpides à ce sujet: le Holmes original prise et utilise abondamment les sciences et la technologie. Nous l'imaginons sous la forme d'un personnage historique, vêtu de tweed et tirant sur une spectaculaire pipe calebasse, alors qu'il s'agissait au contraire d'un personnage foncièrement technoïde.
Recadrer ses aventures en 2010, avec tout le bourdonnement technologique que cela suppose, constitue une stratégie simple mais diablement efficace pour transmettre cette modernité.
Ainsi sont les heureuses trahisons: elles ne s'écartent du texte que pour mieux le révéler sous un autre angle.
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Cela étant dit, ce genre d'adaptations n'éclaire pas seulement les ouvres originales: il trahit aussi les mours changeantes de l'auditoire.
Exemple aussi spectaculaire qu'amusant: ce nouveau Sherlock Holmes ne s'injecte pas de cocaïne. Il ne fume même plus, à vrai dire, et il a troqué sa proverbiale pipe contre les timbres de nicotine, allant même jusqu'à s'en coller trois simultanément sur le biceps. Nous n'avons plus les excès d'autrefois.
J'aime particulièrement la manière toute contemporaine de décrire la personnalité – comment dire? – un peu difficile de Holmes. Contrairement au 19e siècle, nous usons d'un système sophistiqué afin de décrire les personnalités situées dans le spectre de l'autisme. Aussi, rien ne m'a semblé plus savoureux que cette scène où, se voyant traité de psychopathe, Holmes précise:
– Je suis un sociopathe hautement fonctionnel – faites vos devoirs!
Un peu plus et il renvoyait son interlocuteur à Wikipedia.
Cette curieuse télésérie anglaise, c’est tout à fait par hasard que je suis tombé dessus. En zappant à la recherche de quelque chose présentant un peu d’intérêt. Ce qui n’est parfois pas évident malgré plus de cent canaux au menu…
Bonne adaptation ou, plutôt, bonne trahison?
Je ne sais trop.
Cela ne m’a pas vraiment paru être à point. Pas encore, du moins. Une incursion un peu hésitante dans le monde de Sherlock Holmes, où quasiment tout l’intérêt se réduit à l’étonnante transposition des personnages (le vilain Moriarty, le docteur Watson, et d’autres) à notre époque. Et puis, l’acteur qui interprète ce Sherlock moderne n’a pas tellement la tête de l’emploi…
Trop jeunot pour faire sérieux, à mon avis. Dans la mesure où l’on s’attend à ce que Sherlock Holmes ait une allure plus mature, ce qui lui confère du coup davantage de crédibilité.
Mais je suis là à me livrer à une critique d’une série dont je n’ai vu qu’un bout d’épisode… Holà! Je conclurai donc en écrivant que ce « Sherlock » présente un certain intérêt – ne serait-ce qu’en raison de la transposition dans le temps. Et puis, si l’on peaufinait davantage le tout (ce qui selon moi s’avèrerait « élémentaire » pour mieux faire), il y aurait du potentiel pour de futurs épisodes.
Si cette télésérie devait avoir une suite, bien entendu.
Il est vrai que c’est insupportable ces adaptations cinématographiques d’oeuvres romanesques. Aujourd’hui on ne peut se passer de l’image.
J’ai vu le Sherlock Holmes avec Robert Downey Junior et j’ai détesté ça. Dire qu’ils sont en train de filmer une suite…