Hors champ

Les nouveaux forgerons

Je visionnais Le château dans le ciel, du réalisateur Hayao Miyazaki, lorsqu'un aspect du film monopolisa mon attention. L'intrigue – et notamment le fait qu'une ville fortifiée puisse flotter dans les nuages – reposait sur l'utilisation d'un métal imaginaire: l'étherium.

Le métal imaginaire nous semble un concept narratif tout à fait banal. Pourtant il n'en a pas toujours été ainsi.

Avez-vous entendu parler de l'adamante? Chez les Grecs, le mot adamastos décrivait, de manière générique, une substance très dure. Le mot prendra une forme latine dans l'Énéide: l'adamante – qui nous donnera, par la suite, le substantif "diamant" et l'adjectif "adamantin".

L'anglais reprendra le substantif tel quel – adamant -, ce qui posera des problèmes aux traducteurs, lesquels ne sauront comment nommer ce singulier métal que l'on ne trouve ni au dictionnaire, ni au tableau périodique. Prudemment, ils opteront pour "acier" ou "diamant".

Avec le temps, l'adamante est devenu le métal indestructible par excellence. On le retrouve dans de nombreux ouvrages de fiction – et pas les moindre. Milton, Shelley, Swift et Tolkien martèleront l'adamante sur leur enclume.

Non seulement l'adamante est-il le doyen des métaux imaginaires, mais il a également été l'un des seuls métaux imaginaires classiques. Sur les tablettes de l'histoire, on le retrouve aux côtés de l'orichalque, de la batrachite et de la pierre philosophale.

Il faut dire que pendant des siècles, nous n'avons connu que sept métaux: l'or, le cuivre, l'argent, le plomb, le fer, le mercure et l'étain. Cette rareté n'incitait guère à l'extrapolation. Tout au mieux, les alchimistes attribuèrent-ils des propriétés fantastiques au mercure, qu'ils croyaient être l'ingrédient de base de tous les autres métaux.

Au début du 19e siècle, la science avait isolé quelque 25 métaux – parmi lesquels on comptait le nickel, l'uranium et le titane. Depuis cette époque, nous en avons découvert une soixantaine de plus – sans compter, naturellement, des centaines d'alliages et d'isotopes.

En fait, il suffit de quelques recherches pour constater combien notre connaissance des métaux est devenue une discipline étonnante, digne d'un épisode de Star Trek.

Je pense à ces éléments chimiques qui n'existent pas dans la nature – du moins dans la nature telle que nous pouvons l'observer -, et qui demeurent de purs objets théoriques jusqu'à ce que l'on parvienne à leur donner une existence éphémère: quelques secondes de gloire dans un accélérateur de particules.

Considérez le lawrencium, un métal dont certains isotopes jouissent d'une demi-vie d'à peine quelques secondes. Supposons que vous parveniez à créer un échantillon de lawrencium 259 dans votre cuisine, il commencerait aussitôt à se dégrader. Au bout d'une minute, tout votre lawrencium se serait transformé en nobélium.

Autrement dit, vous n'êtes pas près d'offrir à votre tendre moitié une alliance en lawrencium. (Ce serait d'ailleurs une idée regrettable, le lawrencium étant hautement radioactif.)

Nous voilà très loin, en somme, de la forge de votre grand-père.

L'abondance spectaculaire de métaux qui prévaut depuis le 19e siècle semble avoir mis notre imagination en ébullition – si bien que sur la page que consacre Wikipédia aux métaux et alliages imaginaires, on en dénombre environ 70.

Nommons en vrac le durium, le cortosis, le cargonite, l'arenak, l'iridium 80, le phrikk, le thyrium, le neutronium, l'aluminium transparent – sans oublier le mithril de J. R. R. Tolkien et la kryptonite de Jerry Siegel.

Parmi ces métaux imaginaires, j'ai un faible pour l'unobtainium – un mot formé à partir de l'anglais unobtainable, qui signifie "impossible à se procurer". Bien que l'unobtainium ait été popularisé par le film Avatar, le concept remonte aux années 50. Ce métal aurait été imaginé par des ingénieurs en aéronautique, qui s'en servaient afin de désigner un matériau dont les propriétés idéales auraient permis le développement de projets irréalisables.

Les métaux imaginaires semblent faire le pont entre la science, la technique et la science-fiction. L'idée est attirante. Pourtant, lorsqu'on y regarde de plus près, on constate qu'aucune science réelle n'a présidé à l'élaboration de la plupart de ces métaux imaginaires. Ils courent comme des veines de fantastique qui traversent la science-fiction.

Il s'agit, en définitive, d'un bête procédé narratif. Un deus ex machina inventé en marge de la réalité, en marge de la science, et qui trahit surtout ce très vieux désir de nous prendre pour Dieu.