L'un de mes animaux préférés est le bousier, ce scarabée dont les représentants les plus notoires découpent des fragments d'excrément dont ils façonnent une petite boule (la pelote fécale) qu'ils poussent jusqu'à leur terrier. La boulette en question, faut-il le préciser, servira de casse-croûte.
Le bousier illustre magnifiquement l'un des grands concepts de la vie sur terre: la merde des uns représente la nourriture des autres. L'image est si séduisante que les Égyptiens de l'Antiquité firent du scarabée un hiéroglyphe représentant la transformation, le cycle solaire, ainsi que tout un tas de notions à propos desquelles les égyptologues ne s'entendent pas.
Chose certaine, le scarabée faisait l'objet d'un culte funéraire très sérieux. Je m'émerveille toujours de voir tous ces petits rouleurs de merde gravés çà et là dans les 11 kilos d'or massif du masque funéraire de Toutankhamon.
Mais pour ma part, et depuis de nombreuses années, le bousier représente en fait l'artiste, sa capacité à s'emparer de la merde et à la transformer en une boule parfaite de carburant. À s'en nourrir.
Je lisais la semaine dernière un texte de Nathalie Elgrably-Lévy où elle affirmait qu'il est illogique de subventionner les travailleurs culturels. Les artistes doivent être rentables, disait-elle, ou se trouver un boulot.
J'étais un peu surpris. Cette tirade arrivait de nulle part. Avez-vous entendu parler de culture une seule fois durant les élections? En fait, je ne me souviens pas avoir entendu parler de culture durant une campagne électorale depuis un bon moment – et les campagnes électorales n'ont pourtant pas manqué depuis dix ans.
La culture n'est pas un enjeu politique – peu importe le parti ou le palier de gouvernement – et lorsqu'elle se retrouve à l'avant-plan, c'est généralement dans une perspective tellement idéologique ou identitaire qu'elle en devient utilitariste. Et je ne pense pas qu'aux conservateurs.
Alors forcément, lorsqu'on écrase la culture, c'est généralement de manière un peu distraite. Un peu comme on roulerait sur un buisson mal situé, en faisant reculer le camion-citerne. S'cusez, c'était dans le chemin. Ça repoussera tout seul.
Bref, on finit par s'étonner lorsque d'aventure quelqu'un fait un large détour pour venir s'en prendre à la culture. Nous ne sommes plus habitués à ces petites attentions. C'est trop gentil de penser à nous.
Je suis fasciné par le fait qu'il y ait encore des économistes, en 2011, qui n'ont pas encore compris que l'industrie culturelle est rentable.
Allez seulement consulter les textes du Forum international sur l'économie créative (ça ne s'invente pas) organisé en 2007 par le Conference Board of Canada. Cette année-là, l'industrie culturelle a encaissé 7,9 milliards en subventions et a produit 84,6 milliards de bénéfices directs et indirects. En matière de retour sur l'investissement, l'industrie culturelle n'a rien à envier aux alumineries ou aux sables bitumineux.
Quant à la situation économique du créateur au sein de cette très rentable industrie, ne me lancez pas sur le sujet. L'envie pourrait me prendre de vous parler des salaires et bonus qu'ont encaissés certains PDG au beau milieu de la crise financière.
Combien de fois ai-je entendu le discours de madame Elgrably-Lévy? Oh, pas si souvent – il s'agit de culture, après tout -, mais régulièrement. La plupart du temps, il émane de ces gens qui "disent les vraies affaires" et qui, sous couvert de nous démontrer la vérité par a+b, nous pellettent leur idéologie dans la cour arrière.
Toute cette histoire me lasse et je n'ai plus envie d'argumenter. L'a+b ne fonctionne qu'à sens unique, voyez-vous. Dans l'autre sens, il y a comme un clapet. Un clapet idéologique. Répéter des arguments et brandir des chiffres ne mène pas loin. On n'entend pas celui qui a raison, mais bien celui qui tient le micro. (Parlez-en aux gens de Québec.)
Et si vous voulez mon avis, cette histoire donne un avant-goût des quatre prochaines années – car, après tout, une élection sert surtout à ça: déterminer qui tiendra le micro. Et ce qui se dira dans les micros de la Chambre des communes, au cours des prochaines années, risque d'être exactement dans le même ton. De l'idéologie sous un vernis de logique.
L'artiste, disais-je, se distingue par sa capacité à s'emparer de la merde et à la transformer en une boule parfaite de carburant. Ne soyez pas tristes, mes amis: nous allons vivre des années fastueuses.
Vous faites trop d’honneur à Nathalie Elgrably-Lévy en lui consacrant ne serait-ce qu’une partie de votre chronique. Sa réputation de mauvaise foi n’est plus à faire. Vous feriez mieux de l’ignorer, ce qui serait une punition insupportable pour elle.
Même chose pour l’organisation qui l’emploie, l’Institut Économique de Montréal (IÉDM), dont la mission est de promouvoir la privatisation de l’ensemble des activités économiques. Bientôt, ils s’en prendront à l’eau que l’on boit et à l’air qu’on respire. On ne taxera pas ces éléments naturels, voyons donc, mais on réussira à se les approprier pour ensuite nous les revendre avec un bon profit et, conséquemment, un bon rendement pour les actionnaires.
La seule poésie économique que je connaisse et qui me réjouit chaque fois que je l’entends, c’est celle du prof Lauzon.
Ce « délicieux » billet m’a tout de suite fait penser à quelques mots qu’a chanté Paul Simon voilà probablement une bonne vingtaine d’années, soit:
« One man’s ceiling is another man’s floor. »
Le véritable artiste, le créateur inné, aura toujours la tête dans les nuages du point de vue des plafonnés de ce monde. Pas la peine de trop s’attarder sur son cas…