Comment parler d'un livre? Il s'agit d'une question indispensable. Parler du livre, c'est le transmettre au lecteur suivant. C'est le rouage de base de la littérature.
Je me souviens d'avoir autrefois vanté Moby Dick à un ami. L'épaisseur du roman le décourageait. Il a fallu trancher le cachalot en darnes. Comme nous avions sans doute une bière à la main – c'était monnaie courante, à l'époque -, voilà que je me suis mis à mimer Achab. J'ai raconté en détail la scène où l'on prépare le spermaceti, et celle où Queequeg essaie son cercueil. Et la cuisson du steak de baleine! Et l'ambre gris!
J'ai prêté mon vieil exemplaire à mon ami, qui est parti en chancelant lire Herman Melville. Mission accomplie.
Il m'a rapporté Moby Dick au bout d'un mois ou deux. J'ai noté un signet fiché aux environs de la page 30, que l'ami n'avait pas dépassée. "T'as pas aimé ça?" Il a fait une moue. Il avait trouvé ça laborieux, rébarbatif. "C'était meilleur quand tu le racontais."
Enthousiasme dithyrambique 1, Moby Dick 0.
La scène est humiliante sur les bords – et elle ne signifie surtout pas que ma version de Moby Dick, imbibée de houblon, était supérieure au roman. Elle illustre simplement un phénomène paradoxal: jusqu'à un certain point, le lecteur ne trouve dans un livre que ce qu'il y apporte.
Ce que j'avais vanté à mon ami, ce n'était pas le texte de Melville, mais mon expérience de lecture – chose par nature impossible à reproduire.
Je reconnais volontiers mon incompétence en la matière. J'ai beau être au courant, je ne me corrige pas. Même ma sociologue préférée le dit. Quelqu'un lui demandait, en fin de semaine dernière, si elle avait lu Ferron. Elle a répondu que non: je lui en avais trop parlé et elle craignait d'être désappointée.
Mon surplus d'enthousiasme est visiblement devenu une tare notoire. Le syndrome Melville.
Le pire, c'est que j'en suis parfaitement conscient. Voilà plusieurs années que Daniel Pennac m'a convaincu: dans Comme un roman, il fait l'éloge de son frère aîné, capable de comprimer d'énormes tomes en quelques mots, comme par magie. La concision, voilà le secret.
On devrait parler des livres avec le même soin tatillon qu'un vieux pêcheur met à confectionner ses mouches: un hameçon de la bonne taille, une pincée de plume, quelques savants tours de pince. Rien qui dépasse.
On se plaint parfois, dans le milieu littéraire, de la disparition de la critique, déboutée par quelque chose s'apparentant désormais au rapport de lecture: 60% pour résumer le bouquin, 30% pour jaser de l'auteur, et la balance aux fioritures coquines.
Je ne lance la pierre à personne. Je sais combien il est difficile de réinventer une recette – surtout lorsqu'il s'agit de communiquer une expérience aussi personnelle que la lecture. En outre, je crois qu'il serait impossible de revenir à une critique plus… Comment la qualifier? Puriste? Traditionnelle? (Encore faudrait-il définir ses frontières, je suppose.)
Le problème, c'est que la critique constitue un acte social – peu importe ce que voudront croire les vieux bonzes – et que les règles de la socialisation changent à une vitesse folle. Non seulement la communication n'est plus hiérarchisée de la même manière – du haut vers le bas -, mais les instruments de cette nouvelle socialisation reposent souvent sur le minimalisme.
Installez-vous devant Twitter, un de ces jours, avec votre chaise de parterre et vos lunettes fumées, et regardez les statuts voler aller-retour, décrire d'élégantes courbes dans l'espace. On croirait un grand festival de pêche à la mouche (car quiconque pratique Twitter le sait, il faut parfois la minutie d'un vieux pêcheur pour ficeler le message sur l'hameçon des 140 caractères).
Je reviens donc au constat que faisait Daniel Pennac: est-ce que ces 140 caractères ne seraient pas le format idéal d'une nouvelle critique? Je ne parle pas d'utiliser Twitter pour aiguiller le lecteur vers un texte pleine longueur – ça, tout le monde le fait déjà -, mais bien de caser la critique tout entière dans l'exigu gazouillis. Rien qui dépasse.
Pardon, ça vous semble court? Allez donc demander à Basho s'il ne trouvait pas le haïku un peu trop bref.
Pour ménager les « mèches courtes », écourter la critique ! Une solution à court d’idée peut-être !
À la rigueur, amputer l’enthousiasme, au pire, ne pas tirer sur les ficelles de l’emballement.
J’opte pour tirer une ligne entre la description et la perception vu que déjà la description est pleine de perception.
Bien identifier aux yeux de celui qui nous écoute ou nous lit quand il s’agit de nos appréhensions, nos peurs, nos goûts, nos besoins. Avant tout, en prendre conscience !
Pour bien parler d’un livre, faut être avant tout conscient de soi. Et en plus, bonus, plus tu prends conscience de toi, et en cultivant l’honnêteté, plus le récepteur de ce que tu émets développe sa conscience de toi et fait la part entre lui et toi.
Parce que les gazouillis critiques, c’est fanfaron comme idée, mais j’y crois pas et vous non plus. On n’est bien trop grégaires pour aboutir à ça. Tout ça pour ça. Écrire tant de mots pour être résumer en si peu.
Non mais vraiment les clubs de lecture qui se mettraient à gazouiller… aussi bien rester chez soi sur sa branche !
Si je comprend bien nous aurons bientôt droit aux chroniques de Voir en format «gazouillis»?
Trop vouloir
Minimiser
Et disparaître….
Vouloir trop dire – plutôt que d’y aller d’une cote et d’un court aperçu du contenu. Voilà possiblement le problème et sa solution…
Ainsi, lorsque l’on s’empare de son guide-télé, les films y sont cotés (de chef d’oeuvre à navet) et quelques mots présentent le sujet. Et cela est amplement suffisant pour que l’on se fasse une idée.
Ce qui laisse donc toute sa « chance » au visionnement lui-même, étant donné que trop d’informations n’auront pas, d’avance, corrompu nos attentes.
Une approche qui pourrait également convenir au livre, non?
Les critiques à éviter sont celles qui font trop appel à des résonnances intérieures bonnes ou mauvaises.
Les critiques ultra-objectives risquent d’effrayer le lecteur.
Ne reste que les mots clés, comme le suggère Claude Perrier, à partir d’une formules comme « si vous avez aimé ceci ou cela », sauf que même cette approche cantonne l’oeuvre critiquée dans une ornière bien spécifique.
Comme quoi, la bonne critique n’est pas le résultat d’une formule qu’on peut reproduire à volonté, mais plutôt le travail d’un individu en phase avec lui-même et le lectorat. Une sorte d’activité créative au même titre que les autres arts majeurs.
Une rare conjonction des planètes, on en conviendra.