Je tiens à l'oil, ces temps-ci, le projet Open Bookmarks. Il s'agit d'une initiative visant à sauvegarder signets et annotations pour les livres numériques. Le projet part d'un constat intéressant: pourquoi est-il si difficile (voire impossible) d'annoter des livres numériques, alors qu'il s'agit d'une fonction de base du livre papier?
À terme, Open Bookmarks vise non seulement à organiser ces données liminaires, mais aussi à les partager – encourageant ainsi une forme de lecture sociale. ("Lecture sociale" est évidemment une expression redondante, mais vous voyez l'idée.)
James Bridle, l'instigateur du projet, affirme: "I want to hand my bookmarks down to my children."
Il s'agit d'une idée très belle – mais qui est également, si on la considère au premier degré, très naïve. Pour léguer ses notes de lecture à ses enfants, il faudrait d'abord que lesdits enfants aient envie de lire les mêmes livres que leur père. Ou qu'ils en trouvent le temps. Après tout, nous éprouvons des difficultés exponentielles à suivre le flux des nouveautés. S'il faut se taper en plus les notes de lecture que nos aïeux ont inscrites dans les marges de livres publiés trois décennies plus tôt, nous ne sommes pas sortis du bois.
Ce projet illustre bien le vertige nostalgique qui guette le citoyen numérique. Autrefois, vous pouviez abandonner vos fiches de lecture ou votre journal personnel dans une boîte à chaussures, et vos arrière-petits-enfants les retrouveraient intacts dans le fond du grenier, 65 ans plus tard.
Certes, la boîte à chaussures moderne permet de rejoindre des milliers de personnes, et non seulement une poignée d'obscurs descendants. En revanche, essayez un peu de retracer ce que vous avez écrit sur Facebook ou Twitter en novembre dernier. Avalé.
Nous avons troqué le vertical contre l'horizontal. Tout est aplati dans un perpétuel présent. Dans ce contexte, on peut comprendre le désir de tout archiver.
(À vrai dire, je n'arrive pas à comprendre comment on pourrait ne pas vouloir tout archiver.)
L'archéologie du soi-même
La question mérite d'être posée: à partir de quel moment l'archivage participe-t-il à la surproduction d'information?
L'auteur et blogueur Paul Ford parlait récemment de ses archives de courrier électronique, soigneusement conservées sur son ordinateur depuis 1995, et dans lesquelles il pouvait fouiller à volonté – afin de se livrer, en quelque sorte, à une sorte d'archéologie du soi-même.
Je rêve depuis longtemps de faire la même chose, et je conserve à cet effet des archives de courrier datant de 1994. Les plus vieux fichiers se trouvent sur de pittoresques disquettes 3,5 pouces. Tout est là, sauf deux années de courriels, perdus lors d'une fausse manouvre. Ces messages couvraient notamment l'époque où je bossais sur Nikolski.
Bien entendu, je ne me fais aucune illusion sur l'intérêt de cette correspondance pour les historiens – ou même pour mes propres enfants. Qui veut savoir que j'ai bu quatre cafés le 17 novembre 2004, que la toilette était encore bouchée, et que je m'interrogeais sur l'utilisation de l'adverbe "abusivemement".
Réponse: moi. Ou vous, s'il s'agissait de votre courrier.
Cela étant dit, ce genre d'archives nous ramène tout de même à un problème fondamental: quand donc aurai-je le temps d'aller lire tout ça?
Borges (qui a décidément tout dit sur tout) a autrefois narré l'histoire d'Irénée Funes, personnage pourvu d'une mémoire universelle, absolue. Sa mémoire était si exhaustive qu'il pouvait se remémorer le déroulement d'une journée entière, dans ses moindres miettes. Cet exercice était si exigeant, toutefois, qu'il fallait y consacrer une journée entière de labeur.
Memento mori
Ça s'intitule Writers No One Read. Une ou deux fois par semaine, on y publie une courte note sur un écrivain digne d'intérêt, que pourtant plus personne ne lit.
Certains noms sont familiers – tels Jules Vallès ou Raymond Queneau, ou Marcel Aymé, ou Dino Buzzati -, d'autres sont plus obscurs (à mes yeux, du moins): Clemens Brentano, Oskar Panizza, Elena Garro, Roland Topor, Adolf Hoffmeister, Edmond Jabès, B.S. Johnson.
C'est une liste déchirante, douloureuse. Pour un auteur, elle rappelle que l'on va forcément mourir, s'effacer. Pour le lecteur, en revanche, il s'agit d'une liste merveilleuse: un programme de lectures obscures!
J'ai inscrit ce blogue dans mon lecteur de flux RSS – puis je l'ai retiré au bout de deux semaines. Je n'ai même pas le temps de lire le blogue consacré aux écrivains que personne ne lit.
bizarre de te lire au réveil, alors que je suis en train de bosser sur texte exactement parallèle
de mon côté, moins de passion pour le « tout archiver », et me sens bien dans cette façon plus brouillardeuse d’avancer par le numérique : comme Michaux qui sur sa table avait un broyeur à papier
ça interfère avec récente discussion ici
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2517
bizarre parce qu’entre les deux il manque le blog : je crois que pour moi ma chambre d’enregistrement – ma boîte à chaussures – c’est ce que je dépose chaque jour dans les recoins plus ou moins visibles de mon site
par contre souligner le rôle de la boîte mail comme centrale d’archives – j’ai commencé les e-mails fin 1996, mais je ne crois pas en avoir remontant à avant 2007 dans mon ordi – pourtant, depuis, ça me sert un peu de centrale pour retrouver conversation, projet et textes associés
été voir le blog tumbir « writers not read » – fascinant pour l’idée, pour les beaux visages, bizarre aussi d’y voir figurer des européens majeurs, comme Buzzatti (« le K » c’est un grand classique de nos ados, heureusement), ou Marcel Aymé (ici tous les gosses connaissent), et Daniil Harms qui meurt 2 fois parce qu’on lui écorche son nom – je préfère faire le contraire et dire que je le lis
http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article16
allez, pas plus long, juste pour te dire une fois de plus comment ces chroniques sont précieuses à ceux qui les reçoivent
à noter (oubli) qu’il y a services comme twwetbackup ou backupify pour archiver régulièrement et automatiquement comptes tw (bckupify archive facebook, gmail et twitter) – ça aussi, m’en suis pas préoccupé au début, ne sais pas à quoi ça peut servir d’archiver mais désormais le fais une fois par mois et stocke dans un coin
écrire , c’est effacer, raturer, réécrire, ClASSER, jeter à la poubelle… écrire c’est-y faire du ménage ??? donc on ne peut vivre sans les femmes de ménage ;( facile, facile, ) mais avis est donné aux « quéquettes socialo-strauskahniennes intempestives et lubriques ».
Majuscules passées mode, en plus?
Semblerait, à se fier aux commentaires précédents…
Bon, le livre électronique à présent: cela ne m’intéresse pas du tout. Par possible ringardise – ou plus simplement parce que cela équivaut pour moi à prendre un repas dans des assiettes de carton, avec des ustensiles en plastique, et encore un verre en plastique pour le vin.
Cela manque de « décorum »… Et affadit même le texte, quoique je ne puisse logiquement expliquer pareille impression.
Faut malgré tout avouer que je vis continuellement entouré de mes dictionnaires, de mon Grevisse ainsi que de mon Bescherelle, sans oublier des tas de livres (dont plusieurs de La Pléiade, sur beau papier bible…). Alors, le gadget électronique, appelé à devenir désuet avant la fin de la semaine ou presque, ça n’a aucun intérêt pour moi.
Pas plus que les « problèmes » que ledit gadget peut occasionner par manque de flexibilité relativement à diverses fonctions, ou encore par « noyade » au milieu d’un déluge de mots.
Rien ne vaudra jamais le bon vieux livre sur papier.