Depuis le tout début de l’affaire, en avril 2008, les médias ont utilisé la métaphore de David et Goliath afin de décrire le pugilat opposant Écosociété et Barrick Gold autour du livre Noir Canada.
L’analogie semblait adéquate tant et aussi longtemps que subsistait l’espoir qu’Écosociété remporte la bataille. Maintenant que les deux parties ont conclu une entente hors cour, tout le monde annonce la victoire de Goliath.
En est-on bien certain?
Qu’Écosociété soit perdante, pas de doute. Dans une déclaration diffusée conjointement avec Barrick Gold, la maison d’édition a dû se rétracter à propos de certaines allégations publiées dans le livre. Elle a également dû faire «un paiement significatif» (allez savoir ce qu’est un paiement significatif pour une multinationale).
Mais qu’a gagné Barrick, au juste?
La démesure même des procédures judiciaires déployées – une réclamation de 6 millions de dollars en diffamation – mettait la minière dans une position délicate. L’opinion publique ne pouvait tout simplement pas pencher pour Goliath. Oubliez les arguments et la raison: il s’agit d’une question médiatique (donc émotive). Madame Sicotte s’est fait une opinion en écoutant la radio, pas en allant lire Noir Canada ou les communiqués de presse.
L’affaire était réglée hors cour depuis longtemps, en quelque sorte.
Peu importe la conclusion officielle, la réputation de Barrick Gold est maintenant entachée – et, ironie de l’affaire, beaucoup moins par le livre lui-même que par la poursuite qui visait à le retirer de la circulation.
K.-O. technique, donc, mais défaite du département des relations publiques – et je soupçonne qu’il s’agisse du sens de cette fameuse entente, qui offrait une porte de sortie pour les deux joueurs.
Certains rétorqueront que tout cela n’a aucune importance, et que la minière cherchait probablement moins à défendre sa réputation qu’à nuire au travail de l’éditeur et des auteurs. Mission accomplie. Le temps et l’énergie qu’ils auront engloutis dans cette affaire n’auront pas été consacrés aux livres. En ce sens, la poursuite de Barrick aura été un véritable sabot de Denver.
Permettez que je me réjouisse au moins d’un tout petit détail: on n’aura pas fait tout ce bruit autour d’un blogue, d’un documentaire ou d’un reportage, mais autour d’un essai. Vous vous demandiez si un livre pouvait encore paraître menaçant en 2011? Je suis heureux de vous répondre que oui.
Ça a bien failli ne pas arriver, notez bien. Il aurait suffi que Goliath laisse pisser et le brûlot se serait éteint de lui-même au bout de quelques semaines, car tel est le destin des bouquins à notre époque. Cette histoire prouve qu’on n’est pas très au fait de l’industrie du livre, chez Barrick.
Mais attendez, il y a encore un épilogue à cette histoire.
Le jour même où les deux belligérants diffusaient leur communiqué de presse, on pouvait déjà télécharger une copie piratée de Noir Canada sur un serveur belge. Peut-être, ce matin, y en a-t-il une douzaine en ligne – sans compter toutes les fois où le document aura circulé par courriel ou par Twitter. Le livre n’est plus en librairie? La belle affaire.
Barrick Gold pourra investir des millions de dollars, il est impossible d’enrayer ce type de diffusion. Encore une fois: bienvenue en 2011.
Pour que le livre circule, cela dit, il faut qu’on en parle. Or, voilà le grand danger qui guette encore Écosociété: maintenant que le litige avec Barrick Gold est en aval, les médias décideront peut-être de décréter l’affaire close, plus très intéressante pour le public. Pourtant, l’éditeur doit toujours composer avec une poursuite de 5 millions $ déposée en Ontario par la multinationale Banro – et cette bataille pourrait être plus difficile à mener si elle se déroule loin des médias.
Restez à l’écoute, comme on dit.
Sale temps.
Voilà que nous ne pouvons même plus nous plaindre quand nous avons raison de nous plaindre!
Sale temps.