Vive le mois des morts!
Au Mexique, le 1er novembre, on offre de petits crânes en sucre, richement décorés, sur les fronts desquels on fait calligraphier en crémage rose bonbon le prénom de l’être aimé. Tenez ma chère Hortense, un mini-macchabée à votre image. C’est inoubliable.
Mais cependant qu’ailleurs on jongle gaiement avec les tibias, le Nord-Américain moyen ne sait pas trop comment aborder la mort. Il flotte comme un malaise autour de la Faucheuse.
Il est paradoxal, notre engouement pour certaines séries américaines où l’on raconte les tribulations d’une famille de croque-morts, d’un tueur en série (et spécialiste en scènes de meurtre) ou d’une anthropologue criminelle – et je ne parle même pas des vampires et autres narrateurs d’outre-tombe.
Et voilà que, comble de l’ironie, le zombie est en passe de devenir culturellement massif (ou massivement culturel, traduisez ça dans le sens que vous voulez).
Autrefois confiné aux niches, on le voit maintenant traîner du moignon sur toutes les scènes: à la télé, au cinoche, dans les vitrines et les blogues. Le phénomène n’est pas seulement américain, et j’attends avec impatience Juan de los Muertos, un film de zombies tourné à La Havane.
Il existe même une littérature du zombie – et pas seulement des zombie-romances publiées par Harlequin, ou des ouvrages comico-conceptuels comme Orgueil et préjugés et zombies, mais aussi de la fiction sérieuse. Je pense notamment à World War Z, de Max Brooks, dont on me dit beaucoup de bien. Au total, on compte assez de titres pour constituer une page de catégorie sur Wikipédia.
(Ça ne veut pas dire qu’on a envie de se taper tout ça, bien sûr. Il y a tellement de livres à lire, et la vie est si brève.)
Certains pensent que la popularité du zombie trahit notre malaise face à la mort. Sans doute est-ce vrai. En même temps, le phénomène est devenu si complexe, avec ses cohortes de sous-zombies et ses morts-vivants de niche, qu’on peut difficilement le caser dans un seul tiroir.
Pour ma part, j’aime bien l’associer au mouvement Occupy Wall Street. Je pense bien sûr à cette tendance des morts-vivants à s’agglutiner dans les espaces publics, ou encore à véhiculer des messages sociaux, mais c’est une analogie moins directe qui me vient à l’esprit.
Il existait, au milieu du Moyen Âge, un genre graphique appelé danse macabre, que l’on retrouvait généralement sur les murs des églises. Ces danses mettaient en scène de joyeux squelettes qui, sur un pas de deux, emportaient tout un chacun vers sa fosse: bourgeois, paysan, vieillard, prêtre, femme enceinte – et même le petit poupon dans son berceau.
Ces chorégraphies sont saisissantes. On dirait Zorba le Grec, tout en lambeaux et en clavicules. Rien à envier aux zombies de George Romero, je vous assure: ces peintres n’avaient visiblement pas besoin de Google pour savoir à quoi ressemblait un cadavre.
La danse macabre est le fruit d’une société qui sortait de la famine et de la peste bubonique, bien sûr; mais au-delà de cette familiarité avec la mort, le genre exprimait une forme de justice radicale: peu importent votre rang, votre fortune ou votre âge, peu importe en somme que vous apparteniez au 99% ou au 1%, vous passerez tous à la casserole.
Cette philosophie imprègne encore les films de zombies, où la variété de figurants dépasse l’imagerie médiévale. Infirmières, gamins, hommes d’affaires, soldats, conducteurs de Porsche, danseuses topless et disciples de Krishna: aucune classe sociale ou professionnelle ne saurait échapper à l’infection.
Pas étonnant que de nombreuses œuvres mettent en scène des monceaux de dollars qui ne valent plus tripette, éparpillés par le vent.
On aimerait bien, tiens, que les puissants de ce monde visionnent un petit film de zombies de temps en temps.