J’aime la plomberie – j’entends par là cette impalpable tuyauterie qui gargouille dans les murs du livre. J’avoue avoir passé des soirées mémorables à lire «The Art of Fiction», la légendaire série d’entrevues publiées dans The Paris Review.
Il s’agit d’un intérêt de niche, je l’admets, le Nord-Américain moyen préférant plutôt visionner un documentaire sur le tournage du Hobbit. La littérature est moins spectaculaire.
Récemment captif d’une salle d’attente, j’ai dû me taper un documentaire sur Madame Bovary, un truc comme seuls les Français peuvent en concevoir. Cela prenait la forme d’une enquête à grand déploiement, avec des archivistes, des historiens, des herméneutes et des comédiens, tout ça pour tenter de répondre à la brûlante question: qui donc était Emma?
J’hésite à qualifier l’entreprise de naïve, car elle illustre au moins la difficulté de parler du roman, de l’art romanesque, et de se trouver un public cible. Peut-on tenir un discours intéressant (et raisonnablement vulgarisé) sur l’art romanesque sans pour autant envoyer James Cameron chasser Moby Dick en hélicoptère?
La réponse est oui, mais cela suppose aussi une certaine modestie. Je pense naturellement aux Éditions Trois-Pistoles et à leur collection Écrire, dont les ouvrages (pourtant accessibles) ne doivent rejoindre qu’un lectorat pointu.
Enfin bref, voilà que paraît au Boréal un recueil issu d’une journée de conférences tenue l’an dernier à l’Université McGill, et qui s’intitule La Pratique du roman. (Vous avez bien lu: Pratique avec un P majuscule, roman avec un r minuscule.)
On pourrait s’attendre au pire d’un recueil de textes originellement rédigés pour un parterre d’universitaires – mais non, le résultat est absolument indolore. Pour tout dire, je ne m’attendais pas à y prendre autant de plaisir.
Il faut dire que la cohorte couvre plusieurs générations, depuis Nadine Bismuth et Dominique Fortier jusqu’à Gilles Archambault et Trevor Ferguson, ce qui assure une saine diversité. Les textes se recoupent sans se répéter: métaphysique, historique, mise en marché, on tire dans tous les sens. Très peu de technique, finalement, pour un livre qui entend parler de Pratique. (Peut-être est-ce le sens du P majuscule: un P centrifuge.)
Un motif revient toutefois dans presque tous les textes: la question de la Vérité, des liens entre le roman et la réalité – et, surtout, des relations entre le romancier et sa créature. La question du vécu et de l’authenticité, en somme.
Ce sujet est devenu, je le crains, une figure imposée. Je ne le dis pas négativement. Je constate seulement que, en cette époque où l’intime et le public ne cessent de converger, où il faut pratiquement être anthropologue judiciaire pour vendre des romans sur l’anthropologie judiciaire (un exemple parmi tant d’autres), la question de l’authenticité fait figure d’eczéma chronique.
Ce questionnement est d’autant plus intéressant, d’ailleurs, que tous les participants du recueil recourent, à un moment ou un autre – et généralement à plusieurs occasions -, à l’anecdote. Conséquence: par un tour de passe-passe focal, cette abondance d’historiettes et d’exemples place les textes mêmes au centre de la question qu’ils posent: ces anecdotes sont-elles vraies? Et si oui (ou non), est-ce bien important?
Monique LaRue, en particulier, met en scène un doute troublant. Le romancier est-il fiable? À quelles déformations de la fabulation s’expose-t-il lorsqu’il narre (ou se remémore) sa propre vie?
Lorsque je vois l’engouement grandissant pour les romans vécus et authentiques, tirés de faits réels, écrits par des insiders, je me dis que nous travaillons très fort à facebookiser la littérature.
Les romanciers qui s’expriment dans La Pratique du roman m’apparaissent donc, à ce chapitre, comme d’essentiels fauteurs de trouble.
La Pratique du roman, Boréal, sous la direction d’Isabelle Daunais et François Ricard
Cette idée typiquement contemporaine mettant beaucoup l’accent sur le Vécu, sur finalement «peu-importe-quoi» pourvu que ce «peu-importe-quoi» soit Authentique, est une décadence venue sournoisement s’immiscer dans les sentiers où fleurit la Créativité.
En quoi un gros bagage de bric-à-brac constitué de camelote et de pacotille, sommairement emballé dans une poche de jute, vaut-il autant sinon davantage qu’un petit sac de velours renfermant quelques perles de culture?
Pour quelle bonne raison cette dérive vers le Vécu pour le Vécu, si ennuyeux et nul sera-t-il trop souvent, si ce n’est que pour pallier l’absence de talent littéraire – tout en prétendant apporter une valeur ajoutée?
En matière de littérature, un texte n’a pas à être Vrai. Il suffit que celui-ci raconte du Plausible, réaliste ou fantaisiste. Avec une belle maîtrise de la langue.
personne n’a jamais prétendu qu’un « gros bagage (…) de camelote » vaille mieux qu’un « sac de velours renfermant quelques perles… » ta question en ce sens est donc impertinente.
p.s. peux-tu me donner un exemple de « plausible fantaisiste » svp? je ne comprends pas bien ce concept.
Dites donc, Monsieur L’ÉPAIS qui a choisi de s’appeler «chasseur d’épais», savez-vous que le vouvoiement existe et que lorsqu’on parle à un inconnu, il importe de ne pas choisir illico le tutoiement. De tels comportements, on appelle cela la civilisation, le civisme et la civilité.
JSB qui déteste les épais qui s’ignorent
une insulte comme préambule à une leçon de savoir-vivre. hum… je suis perplexe, jean-serge…
quant à l’utilisation du vous, ben… j’ai plutôt choisi d’apostropher claude sur le ton de la franche camaraderie. fût-ce une erreur si grave?
p.s. je ne parle pas, j’écris.
Mais qu’en est-il de romanciers comme Emmanuel Carrère, qui ont écrit «L’adversaire», «D’autres vies que la mienne» et «Limonov»? Monsieur Dickner, protégez vos arrières.