Hors champ

Lecteurs et vecteurs

La semaine dernière, j’ai surpris ma nièce Maude plongée dans un bouquin. En soi, ça n’a rien de très étonnant: à 16 ans, elle est déjà (et depuis longtemps) une grande lectrice.

Curieux, je m’approche pour voir ce qu’elle lit, et je reste bouche bée. Il s’agit de Voyage au bout de la nuit. Grande lectrice, d’accord – mais tout de même, lire Louis-Ferdinand Céline à 16 ans!

(Et du coup, je me sens un peu honteux de ne pas l’avoir lu moi-même. Prière d’insérer ici un long soupir.)

Lorsque je lui demande comment diable ce roman lui est tombé entre les mains, elle répond (un brin embarrassée, me semble-t-il): Louis-José Houde. Ah bon? Bin oui, explique-t-elle. Le titre de son nouveau spectacle, Les heures verticales, est tiré de Voyage. Mieux encore, l’humoriste en a recommandé la lecture sur son blogue.

Quoi? Louis-José Houde ferait de la concurrence à Oprah?

Je suis allé vérifier l’information, vous pensez bien. Je n’ai pas trouvé le passage où il vante les mérites de Céline, mais dans une de ses vidéos parisiennes, il annonce son intention de faire une promenade littéraire inspirée de Paris est une fête. M’étonnerait pas que Maude retontisse un de ces quatre avec un roman de Papa Hemingway sous le bras.

Dans mes instants de fol optimisme, j’aime imaginer que ma nièce ne sera pas la seule fan de Louis-José Houde à se lancer dans la lecture de Céline ou d’Hemingway. On peut rêver, non?

Un peu d’ambition, bon sang!

Louis-José Houde, vecteur littéraire… L’idée mérite qu’on s’y intéresse – mais pas forcément pour les raisons que vous croyez.

De nombreuses personnes se réjouiront qu’un humoriste fasse la promotion de la lecture auprès d’un jeune public. Lire, après tout, c’est comme manger des fibres: personne n’est contre.

Que la lecture soit une bonne chose, je veux bien. Ça favorise l’alphabétisation, la littératie, la culture générale, la concentration et la circulation sanguine. Le problème, c’est de se borner à ça.

La lecture est souvent présentée comme une saine activité parascolaire. On aimerait que les jeunes lisent, un peu comme on voulait, autrefois, qu’ils fréquentent le Patro, la salle paroissiale ou la maison de jeunes. C’est de l’hygiène sociale: qu’ils lisent Twilight, pendant ce temps ils n’iront pas faire des graffitis dans la cour de triage du CN.

Cette vision, bien que justifiable, vole un peu au ras des pâquerettes. Elle ne fait aucun cas de la nature de ce que les jeunes lisent. On déclare l’acte suffisant en soi. Lire est, en somme, un sain passe-temps que l’on peut abandonner en entrant au cégep, comme une fusée largue ses vieux étages carbonisés.

Un peu d’ambition, bon sang! Il ne suffit pas de faire lire les jeunes: il faut aussi leur faire lire des textes qui en valent la peine. Des livres qui vont les nourrir, les rendre curieux, les indigner, les dépasser, les faire bouger, les remettre en question, les faire planer. En un mot: les altérer.

On ne devrait jamais sortir intact d’un livre.

L’entreprise est difficile, complexe, et certains prétendront qu’il s’agit d’une tâche fondamentalement personnelle, intime, à l’instar de la lecture. Une tâche impossible à accomplir au sein d’une institution, d’un média.

Là-dessus, je n’ai pas d’opinion précise – mais rien ne vaut un petit tour d’essai pour se faire une idée.

À cet égard, il me semble que Louis-José Houde contribue au débat. Il aurait pu conseiller la lecture de bouquins prudents, consensuels, dans le genre du Petit Prince, mais non: il a eu l’élégance de recommander des livres qui ont de la portance, de l’importance.

Louis-José, je vous salue bien bas.