Hors champ

Défense et illustration du zombipraticien

J’ai consacré quelques chroniques aux zombies depuis 2010, et je ressens le besoin d’aborder encore la question. C’est la dernière fois, je vous le jure. Voyez-vous, il se trouve que j’ai enfin compris ce qui me fascine tant dans les récits de zombies (à part, bien entendu, les zombies eux-mêmes).

Il faut, pour les besoins de l’explication, revenir un peu dans le temps. Jusqu’où? Vous avez l’embarras du choix. Le zombie ne date pas d’hier: la description des morts qui reviennent dévorer les vivants remonte à l’Épopée de Gilgamesh.

Ne faisons pas un si grand détour. Partons plus simplement de 1968, année mythique où George Romero a cristallisé la figure moderne du zombie avec son film La nuit des morts-vivants. Cet efficace zombie s’est vite imposé dans l’imaginaire, et les films d’inspiration romérienne se sont peu à peu multipliés.

Mais si nombreux fussent-ils, ces films ne débordaient guère de leur niche culturelle. Ils formaient un sous-genre florissant, tout au plus.

Or voilà que depuis peu, cinq ou six ans à peine, les choses ont changé. Allez savoir pourquoi, d’ailleurs. Un alignement de planètes favorable? L’engouement pour l’apocalypse? Le malaise occidental devant la mort? L’attrait du libertarisme de droite? La Rust Belt?

Quoi qu’il en soit, les zombies sont maintenant partout, même à Cuba, et le corpus ne se limite plus à des films de série B, il inclut désormais des livres (dont quelques Harlequin), des jeux vidéo et des séries télé à gros budget. L’adaptation du roman graphique The Walking Dead, diffusée aux heures de grande écoute, rameute entre 6 et 7 millions d’auditeurs aux États-Unis seulement.

S’agit-il encore d’un sous-genre? Sans doute pas. Nous pouvons désormais parler d’un genre à part entière – un genre tout jeune mais vigoureux, qui est en train de se déployer sous nos yeux.

Vous savez, ces îlots volcaniques qui émergent de l’océan du jour au lendemain, en crachant vapeur et scories? Voilà ce dont il est question. Et que vous aimiez les zombies ou non, il s’agit d’une éruption étonnante.

Considérez l’histoire d’amour: il s’agit d’un vieux, vieux genre dont les codes sont archiconnus depuis belle lurette. Quelle est la dernière fois où vous avez été vraiment surpris par une histoire d’amour? Ça n’arrive pas souvent, admettez-le. Le genre est tellement codifié qu’il ne bouge plus. On n’y invente plus grand-chose.

Le genre zombie, au contraire, est en pleine éruption, et je réalise que chaque fois que je lis ou visionne un récit du genre, je porte sans cesse attention aux codes, à la manière dont ils sont appliqués, peaufinés, renouvelés – ou mieux encore: inventés.

Mon ami Hugo m’a envoyé récemment un lien vers une nouvelle («Aftermath», de Joy Kennedy-O’Neill) où l’Amérique du Nord se relève d’une épidémie de zombies. Le concept en soi n’est pas neuf, mais lorsque j’ai compris l’élément spécifique de nouveauté que l’auteure injectait dans le genre, mon euphorie a été telle que j’ai levé les bras au ciel (envoyant, du coup, mon iPod au plafond).

J’aime en particulier les codes qui posent des problèmes insolubles, et représentent par conséquent une source d’allégresse sans borne. C’est le cas du matérialisme.

Croyez-le ou non, de nombreux zombipraticiens ont le surnaturel en aversion (l’athéisme et la théodicée sont des thèmes récurrents du genre) et il en résulte une quête du mort-vivant scientifiquement plausible. J’ai vu quelques conférences très divertissantes sur le sujet.

Je m’intéresse aux zombies comme un vulcanologue aux fumerolles, en somme. Pourtant, il me reste encore un vague embarras: celui d’éprouver une telle passion pour un genre qui soit plus ou moins socialement acceptable.

Ça viendra, je suis confiant.