Impertinences

Écraser ou s’écraser?

Je suis fumeur. Or, voilà qu’à partir de déjà, je n’ai plus le droit de fumer dans un lieu public fermé. Je devrai m’abstenir de faire une des choses qui me plaisent le plus au monde, c’est-à-dire flâner dans un restaurant ou un café, à siroter une bière, à regarder le monde vivre et à fumer des cigarettes pour faire des virgules dans l’espace-temps. Mon idée d’un bel après-midi. Pfuit, envolée dans l’air pur. C’est un changement majeur.

Mon cerveau est splitté en deux sur cette question. Comme celui qu’on nous montre sur les paquets pour illustrer les méfaits du tabagisme. C’est qu’une partie de moi n’en revient pas et bucke complètement. Je n’y vois qu’une offensive de bien-pensants plates en mal d’une croisade politiquement correcte. Je me dis que ça va avec le party que d’un peu se crisser de sa santé, d’un peu se suicider en se disant que comme on ne sait jamais ce qui peut se passer demain, vaut mieux tout savourer maintenant.

Ce n’est pas pour rien qu’ils veulent interdire toute section fumeurs et qu’on devra reléguer les irréductibles à d’infâmes cabanons pas de confort, pas de drinks, pas de musique. C’est parce qu’ils savent très bien que s’il y a une section fumeurs permise et qu’elle est le moindrement agréable, c’est là que le party va être… Et qu’ils ne pourront donc plus dire que c’est à la demande générale qu’ils font leur loi de zélés.

Est-ce vraiment la protection des non-fumeurs que vise cette loi ou n’est-ce pas plutôt la répression des fumeurs? Parce qu’on aurait très bien pu exiger des lieux séparés, aérés, et mesurer les particules de fumée en suspension pour s’assurer que la cloison est efficace. Ça s’est fait ailleurs (je ne me rappelle plus où, j’ai vu un documentaire à TV5 là-dessus). Les bars qui ne veulent rien savoir de cet investissement seraient devenus complètement non fumeurs et les autres auraient pu accueillir des fumeurs. Il y aurait eu un peu plus de liberté pour tout le monde…

Je sais bien que c’est mauvais de fumer. Pour moi, pour les autres, pour la société. Mais c’est légal. Le bien n’est pas obligé. C’est cette obligation au bien qui m’énarve. Ça nie une part essentielle de l’humain. Je sais, il y a bien le port de la ceinture de sécurité qui est maintenant passé largement dans les moeurs malgré de virulents débats à l’époque. Mais la différence, c’est que je m’en sacre de mettre une ceinture…

Qu’on me dise qu’il faut qu’aucun non-fumeur ne soit désormais exposé à la fumée secondaire, je suis bien d’accord. Mais qu’on me dise qu’il faut que j’écrase, et j’ai soudain des envies de résister, de désobéir, voire d’immigrer. J’ai le goût de me partir une religion, les Disciples de René Lévesque, et de me rendre jusqu’en Cour suprême pour exiger l’accommodement raisonnable de fumoirs confortables un peu partout pour pouvoir fumer mes 24 cigarettes rituelles par jour… Je me dis: Come on, gang, we gotta fight for the right to paaaaaaartyyyyy!

Je sais, je sais… c’est la drogue en moi qui parle. La nicotine me manipule.

Mais il y a quand même une autre partie de mon cerveau qui essaie d’y voir du positif, entre deux poffes. Cette loi renforcera les conditions pour m’aider à me départir d’une dépendance néfaste. Je devrais lâcher prise et en profiter pour essayer d’arrêter, du moins ralentir, trouver d’autres rituels. Il faut choisir ses batailles et celle-ci, qui profite à des empoisonneurs qui n’ont eu de cesse de nous mentir, n’en vaut pas la peine. Et il paraît qu’aux États-Unis, plusieurs bars font la preuve qu’on peut avoir ben du fun sans fumer.

Je me dis surtout qu’au moins, l’État ne se gêne pas ici pour intervenir et faire considérablement chier une minorité de gêneurs dans l’intérêt public. Même si cela entraîne des pertes économiques importantes à long terme pour toute une catégorie d’industries et de commerces, on avance.

Alors, si on peut mettre les cigarettiers dans la rue pour le bien public et frustrer les fumeurs, pourquoi accepterait-on le port méthanier à Rabaska? Désormais, qu’est-ce qui nous empêche de légiférer contre les VUS, de nuire un peu à l’automobile dans le but de vraiment favoriser le transport en commun? Pourquoi tolérer le bruit des skidoos? Ça crée de l’emploi? La cigarette aussi. Ça fait trop partie des habitudes? La cigarette aussi.

Que les fumeurs doivent souffrir pour le bien public, je veux bien, même si je trouve qu’on aurait pu procéder autrement. Mais au moins, qu’ils ne soient pas les seuls!