Impertinences

Des nouvelles du front

Je l’entends de plus en plus souvent. Ça vient de vieux comme de jeunes… "Coudon, c’est rendu plein d’Anglais sur le Plateau…" C’est un sujet tabou. On n’a pas le droit de dire ça, ni de le penser, ni de le constater. La bataille pour le français est censée avoir été gagnée. On ne veut pas retomber dans la crainte. On ne veut pas avoir à rejouer dans des mesures légales qui vont nous faire accuser d’être des fascistes.

Et pourtant, suffit qu’on signale un mauvais numéro et qu’on tombe sur quelqu’un qui semble ne même pas savoir quelle langue on parle, suffit de se faire interpeller en anglais dans son quartier traditionnellement francophone pour qu’on finisse par se demander si le visage français de Montréal n’est pas qu’un décor de cinéma avec plus rien derrière.

Ouais, c’est vrai, j’ai remarqué moi aussi… Il m’arrive d’avoir parfois des soubresauts d’insécurité linguistique. Mais c’est très difficile de se faire une idée claire de la situation. Les statistiques ne sont pas très utiles. On a l’impression que ça prend tellement de temps à compiler les données qu’on a un portrait très en retard, que la réalité est déjà ailleurs. Et puis, selon que l’étude aura été publiée par des chantres du wishful thinking à lunettes roses ou d’éternels inquiets de la survivance, on aura des conclusions diamétralement opposées. D’un côté, la loi 101 a fonctionné à merveille et le Québec est plus francophone que jamais. De l’autre, la digue est pleine de fissures et on est en train de se faire inonder. Et comme on est trop pissous ou trop "Roger Bontemps" pour réagir, le caractère français du Québec serait en voie de disparition.

Mais ce n’est peut-être pas si simple. D’abord, je pense qu’il y a eu du brassage social et que c’est très sain. Avant, les anglophones qui s’aventuraient à l’est de Saint-Laurent étaient rares. Aujourd’hui, ce n’est plus à leurs yeux la terre barbare que ça représentait auparavant. Le Plateau est in, ils ont du fun. Et même s’ils se parlent en anglais entre eux dans la rue, si on s’adresse à eux en français, ils vont pouvoir comprendre et répondre. C’est pas ça qu’on voulait?

Et puis, on ne le remarque pas, mais certains quartiers sont moins anglophones qu’ils ne l’étaient. C’est plein de francophones à Westmount. Même chose au centre-ville ouest. Ça n’a pas toujours été le cas. Je sais bien qu’il y a des quartiers à forte concentration d’immigrants où entendre parler français n’est pas seulement rare, ça ne semble même pas bienvenu. Mais il ne faudrait pas que ça nous aveugle sur nos victoires. Ces descendants d’immigrants avec qui je converse en québécois, ils n’existaient pas il y a 20 ans. Oui, la madame du dépanneur parle encore beaucoup mieux vietnamien que français. Mais quand ses enfants ne sont pas contents de devoir transbahuter les bouteilles vides, ils sacrent en québécois.

Moi, la seule chose qui me désole, c’est l’abdication. Quand je vois un francophone s’adresser d’emblée à un immigrant en anglais, juste parce qu’il a un look exotique. On ne peut pas faire de loi contre ça, c’est la responsabilité de chacun. Il ne s’agit pas d’engueuler quiconque nous parlerait en anglais, il s’agit d’abord de parler en français à tout le monde. De tenir sereinement son bord, de ne pas "switcher" à l’anglais dès qu’on perçoit " une petite accent ". D’accepter qu’une conversation soit peut-être un peu plus lente en français maintenant pour éviter que toutes les conversations se fassent en anglais un jour.

Depuis quelques semaines, j’ai souvent croisé un gars qui vend des cartes de souhaits artisanales. Je le croise sur Mont-Royal et Saint-Denis. Il s’adresse à tout le monde en français, avec un accent bien québécois: "S’cusez-moi, je fais ça au lieu de quêter, c’est des créations que je peins moi-même." Cette semaine, je le croise sur Saint-Laurent. "Would you like to buy my homemade cards?" Pour lui, donc, à partir de Saint-Laurent, c’est déjà décidé, c’est l’anglais. Et ce que je constate, c’est qu’il est loin d’être le seul.

Et ça, ça me gosse. Parce que ce qu’on a à "vendre" en tant que francophones, c’est pas mal plus important que des cartes de souhaits…

Sur ce, je prends congé de Voir pour faire la tournée avec les Zapartistes et pour aller me promener sur Crescent et dans NDG et commander en français… Je vous retrouve le 3 août.

Enjoy the summer!