Impertinences

« C’t’une belle riviére… » (À la mémoire de Richard Adams)

Je reviens à Montréal, aux nouvelles, à la guerre au Liban, aux Outgames, à tout ce qui grouille et grenouille dans l’actualité. J’y reviendrai, en fait, mais pas tout de suite… Parce que j’ai d’abord envie de vous raconter une histoire de tournée, une histoire de fantôme gaspésien. Une histoire vraie qui prend sa source en 1994. J’étais alors parmi les 16 finalistes pour participer à La Course Destination Monde. C’était la troisième fois, et ce serait la bonne. Mais d’abord, il fallait réaliser nos reportages de sélection. Chacun pigeait une région au hasard. J’ai pigé la Gaspésie.

Une amie gaspésienne me suggère alors un sujet en or: Richard Adams. C’est un guide de pêche au saumon sur la rivière Matapédia. Un personnage. Une sorte de dandy rural qui porte toujours un chapeau et une cravate avec ses chemises carreautées et ses bottes de pêche. Le bonhomme a plus de 80 ans et revient à l’ouvrage après une opération. Toujours de bonne humeur, connu de tous dans la région, Richard est un anglophone qui s’exprime très bien en français mais avec un accent un peu rigolo qui me fait penser à Larry Robinson. C’est le guide préféré des grands pêcheurs américains fortunés qui viennent taquiner le saumon sur la Matapédia. Il a déjà pêché avec Jimmy Carter. Il paraît qu’il est riche à craquer même s’il vit simplement, dans un camp de pêche. Il est une telle référence dans le domaine qu’une fondation pour la survie du saumon atlantique porte d’ailleurs son nom. Richard a de plus toujours été célibataire. Mais ce n’est pas faute d’apprécier les femmes, le gentleman laissant souvent voir qu’il n’est pas insensible au charme… Mais pas de liaison connue. Sans en avoir aucune preuve, plusieurs croient qu’il a vécu un coup de foudre impossible avec une riche étrangère et qu’il en est resté là. Mais on ne sait pas… C’est vrai qu’il a tout d’un Cyrano de la pêche à la mouche.

Après l’avoir rencontré, je suis allé le filmer au petit matin, alors qu’il prenait son petit-déjeuner. Il m’explique son rituel. D’abord, il va remplir sa gamelle à la rivière. Puis, il y fait bouillir ses patates. Et, quand c’est le temps, il y met un oeuf qu’il fera cuire à la coque. Dans la même eau. Parce qu’il ne faut pas gaspiller l’eau et que "les petates, c’est pas poéson"…

Puis on s’assoit le long de la rivière. D’instinct, il ne me fait pas face. Il s’installe de profil. Je vois la Matapédia qui scintille derrière lui. Après quelques questions, j’aborde le sujet tabou: "Toujours célibataire, Richard?"… "À v’nir jusqu’astheure", me répond-il du haut de ses 82 ans. "Il reste du temps encore… un peu…", ajoute-t-il, pensif. Puis, après un silence, mal à l’aise, il se tourne vers la caméra et me lance joyeusement: "C’t’une belle riviére!"…

LA réplique. Je lui parle des femmes et il me parle de la rivière. Pour changer de sujet. Ou peut-être était-ce que pour lui, c’était le même sujet. J’en ai encore des frissons quand j’en parle…

Ce printemps, j’ai appris avec tristesse le décès de Richard Adams le 3 mars 2006, à l’âge de 96 ans. Et cet été, alors que j’étais en tournée avec Les Zapartistes en Gaspésie, entre Saint-Fabien et New Richmond, nous sommes passés le long de la Matapédia. J’ai revu le camp de pêche de Glenn Emma où je l’avais filmé. Ça m’a rappelé des souvenirs. J’en ai d’ailleurs profité pour raconter l’histoire de mon entrevue avec lui à quelques collègues.

Le spectacle a très bien été. Après, au bar de l’hôtel, on s’improvise une partie de poker entre amis. C’est devenu un loisir assez fréquent dans la gang. Le Texas hold’em. Pour ceux qui ne connaissent pas, ce serait trop long d’en expliquer toutes les règles ici mais, pour les fins de l’histoire, il est important de savoir que les joueurs ont chacun deux cartes en main et que cinq cartes communes sont tournées sur la table. Le "pot" va à celui qui fait lâcher tout le monde en misant plus ou, si des joueurs "câllent", à celui qui a la meilleure main de cinq cartes. D’abord, on en tourne trois (le "flop"), puis on peut miser, on dévoile une quatrième carte suivie d’une autre ronde de mises, et enfin, une cinquième carte. Je ne suis pas un grand joueur, je suis plutôt dilettante au poker. Mais ce soir-là, j’ai gagné de nombreuses mains grâce à la dernière carte. Mais surtout la finale. En main, j’avais un as et un 8. Le "flop" nous donne un as, un 8 et une dame. J’avais donc deux paires, dont une d’as… Je décide d’y aller à fond et je ne suis pas le seul. Tout le monde se retrouve "all in". On se montre donc nos cartes et c’est là que je vois que Patenaude a lui aussi un as mais qu’il a en plus une dame. Ses deux paires sont plus fortes que les miennes! Il n’y a qu’une carte dans tout le jeu qui puisse me faire gagner. Un 8. N’importe quelle autre combinaison: je perds tout. La quatrième carte commune ne me donne rien et à Patenaude non plus. Puis, Christian tourne la dernière carte…

Un 8. Exactement la carte qu’il me fallait. Ça me donne une "full house" et je ramasse le "pot". Wow! Et c’est là que ça m’a frappé. En termes de poker, cette dernière carte, celle qui peut faire pencher la balance en faveur d’un joueur ou d’un autre, a un nom particulier. On l’appelle la rivière…

"C’t’une belle riviére…"

Salut Richard! Comme c’est gentil d’être venu me dire bonjour…