Impertinences

Je me souviens… que c’était ben mieux dans mon temps

Ça doit être ça, la devise complète du Québec.

C’est du moins ce que suggère l’entrevue que Jacques Godbout donne à Michel Vastel dans la dernière édition de L’actualité. Encore un bonze de la génération de la révolution tranquille et du cours classique qui se désole de l’avenir et des jeunes du Québec. À le lire, on a l’impression que la génération des cégeps est une calamité qui se trouvera à liquider la culture québécoise à la pièce, dans le grand pawn-shop post-moderne de l’américanité consommatrice. Encore la même rengaine sur la dénatalité, les églises vides et les immigrants qui ne s’intègreraient pas.

Certains, jeunes et moins jeunes, lui répliquent que tout n’est pas si noir, mais une large portion de la population semble cultiver une délectation morbide pour ces sombres prédictions. On carbure à l’inquiétude. Et ce n’est pas d’hier: Mommy, Mommy, Disparaître, Les Invasions barbares. On aime se conter des peurs.

Pour dire vrai, moi aussi, il m’arrive de me laisser entraîner par ce pessimisme ambiant. J’imagine un scénario à la Mad Max, où le Québec est une société culturellement morcelée, livrée à l’anglais, à l’arabe et au chinois, et où ne subsistent que quelques bandes de Canadiens français semi-nomades, dépossédés de leurs logements par la hausse des loyers, qui feraient la navette saisonnière en Winnebago entre la Floride et les Laurentides, de terrain de camping en stationnement de Wal-Mart, sortes de Tziganes d’Amérique du Nord, faisant des feux de camp autour desquels ils chanteraient du Plume Latraverse et du Richard Desjardins dans une langue désormais inconnue du reste du monde, survivant à coup de spectacles pittoresques, de trafic de pot et de réparation de skidoos. Cajuns de l’an 2000, comme chantait Faulkner.

Mais bon, soyons sérieux. Ça fait combien de fois qu’on est au bord de disparaître? Après la conquête, après la crise, après le référendum. La seule chose vérifiable, c’est que le Québec, celui qui prend la peine d’écrire sur le Québec dans les journaux en tout cas, fait de l’angoisse. Il en a toujours fait. Ce n’est pas que les problèmes que Godbout évoque ne soient pas réels. Le défi de l’intégration des immigrants, par exemple, est d’une importance capitale, mais la défaite, ici, n’est pas dans les faits. Elle est dans le défaitisme.

Au lieu de se complaire en jérémiades, qu’on suggère des solutions! Qu’on propose de rétablir la laïcité dans toutes nos institutions (je suis d’accord avec Godbout là-dessus), qu’on ne donne pas congé à un joueur de hockey juif le samedi, pas plus qu’à un musulman le vendredi ou à un catholique le dimanche. Et si on interdit la fumée dans les lieux publics, que ça vaille aussi pour les chichas. Qu’on propose des COFIS turbos, incluant des stages obligatoires en région pour les immigrants, question de diluer un peu les ghettos. Tous des gestes qui, en passant, se coordonneraient beaucoup plus facilement dans un Québec indépendant qui posséderait tous les leviers du pouvoir. Mais ça ne justifie pas qu’on ne fasse rien d’ici là. Ni qu’on déclare avec morgue qu’il est déjà trop tard.

On y voit plus clair quand on allège le sujet. Le processus est le même. Une génération de paysans s’est désolée de voir ses fils et ses filles partir pour la Ville, où ils allaient immanquablement perdre leur âme au contact de l’Anglais, de l’Argent et du Péché. Ce fut la génération des cabarets, dont on vient de perdre deux illustres représentants, qui, elle, a déploré la disparition de ces antres festifs, remplacés par les boîtes à chansons, qu’une autre génération pleurera, etc. La roue tourne et on est toujours aussi désolés. La différence, en fait, c’est qu’il se trouve aujourd’hui bien peu de voix pour se moquer du discours de ces prophètes de malheur.

Pourtant, viendra un temps où l’on regrettera les cours de philo qu’on donnait dans les Cégeps, la belle époque où il y avait 30 clubs dans la ligue nationale, quand on allait au club vidéo se louer un bon vieux DVD qu’on payait encore avec des cartes en plastique. Dans le temps où les chefs de partis étaient charismatiques comme Jean Charest, André Boisclair et l’impayable Mario Dumont. Dans le temps des pudiques strings, des élégantes casquettes de baseball et des chars partout.

Qu’on se rassure. Le Québec porte en lui tellement de nostalgie qu’il en a encore pour des siècles à se désoler de ce qu’il a déjà été.lgoddams qui viennent