Impertinences

Le courage de nos lâchetés

Montrez-moi une vertu, et je vous montrerai un vice déguisé (des fois, je me prends pour La Rochefoucault…). Comme si, à la base de certaines qualités, il y avait un défaut compensé. Un peu comme une perle se forme par un grain de sable qui irrite la nacre de l’huître. Par exemple, j’avoue que si je suis en faveur d’une plus large utilisation des transports en commun, c’est peut-être surtout, au départ , dû au fait que je déteste profondément conduire en ville. Combien de personnes généreuses sont en fait dépendantes affectives? Comme c’est plus facile d’être contre la chicane quand on ne sait pas se battre. Et que dire de tous ces égoïstes qui enrobent leurs vils appétits de belles théories économiques. Le courage aussi peut masquer quelque chose d’autre.

On en aura vu du courage en cette commémoration du 11 septembre. J ‘ai été fasciné par le documentaire diffusé à Radio-Canada lundi portant sur les survivants qui étaient dans le World Trade Center il y a 5 ans. C’est qu’outre sa reconstitution détaillée des gestes de citoyens ordinaires qui se sont révélés être de véritables héros, pour certains au prix de leur vie, le film montrait aussi des aveux de lâcheté, de faiblesse. Comme cet homme qui, la gorge nouée, a avoué avoir foutu le camp plutôt que d’aider deux personnes qu’il entendait crier derrière les flammes, de peur d’y passer lui aussi. Or pour le dire au lieu d’invoquer des excuses, ça prend du courage aussi.

Le courage. C’est drôle, le mot fait un peu vieillot. Mais je sens qu’on va bientôt beaucoup nous en parler dans les mois qui viennent. Pour louer le courage de nos vaillants soldats qui iront au casse-pipe en Afghanistan, par exemple. Personne ne peut être contre le courage, bien sûr. Et personne ne peut nier que les Talibans sont des fanatiques religieux qui méritent d’être combattus. Mais envoyer une armée étrangère est-il la meilleure façon de les combattre? Et si telle est la conclusion du gouvernement américain, est-ce que ça doit automatiquement être la nôtre?

Envoyer des soldats au Moyen-Orient, c’est courir des risques en vies humaines. Mais déplaire au gouvernement américain, c’est courir des risques aussi. Le risque de toutes sortes de bouderies diplomatiques de la part de nos voisins du Sud, de blocages de marché, de tracasseries douanières, voire de fermetures d’usines chez nous. Ce qui entraînerait inévitablement un ralentissement de l’économie. Est-ce qu’on ne serait pas en fait en train de substituer le courage physique de quelques-uns (les jeunes soldats qui, par goût d’aventure ou par besoin de se trouver un avenir, s’engagent dans l’armée canadienne) à notre lâcheté économique collective?

On nous dira que nous n’avons pas le choix, mais c’est faux. Nous avons fait le choix du confort plutôt que celui de l’indépendance. En fait, si on se fie aux sondages, ce sont nos dirigeants qui ont fait ce choix à l"encontre de la volonté populaire. Mais nous n’avons jamais vraiment été mis en face des conséquences des deux choix. Si on embarque, de jeunes personnes iront tuer des gens et plusieurs mourront eux-mêmes. Si on n’embarque pas, bien du monde vont perdre leurs jobs et il se peut qu’on ait tous un peu à se serrer la ceinture. S’il y avait eu un référendum sur la question, êtes-vous sûr de ce que la population aurait choisi? Et de ceux qui auraient choisi de se serrer la ceinture, combien en fait n’en ont même pas? Et de ceux qui aurait choisi d’aller en guerre, combien seraient prêts à y aller eux-mêmes?

Il se peut que le choix du confort soit le plus sage, remarquez. En démocratie, de toutes façons, c’est la majorité qui parle, qu’elle ait tort ou raison. Mais qu’on soit au moins conscient que c’est ça qu’on fait…

Harper tentera de nous vendre les vertus de son courage à lui en nous en montrant aussi les intérêts. Il promettra des emplois dans l’armement, des bases militaires pour revitaliser des régions abandonnées, des investisseurs américains contents de construire une usine dans un pays si loyal. Mais le vrai courage, ne serait-il pas de suivre nos convictions, même si ça déplaît à nos puissants voisins? D’après ce qu’on sait, il y a fort à parier qu’un Québec vraiment libre légaliserait la marijuana demain matin, n’aurait peut-être même pas d’armée, et entreprendrait un vaste programme pour remplacer le pétrole par l’hydrogène ou une forme de moteur électrique partout où c’est possible. Mais dans la réalité, il y aurait un prix à payer pour tous ces choix. En avons-nous le courage?

Moi, je le paierais volontiers mais je ne suis pas un bon exemple, je ne suis qu’un "poteux" qui ne sait pas se battre et qui ne possède aucune action de compagnies pétrolières…