J’ai déjà été amoureux de Michaëlle Jean. Secrètement, sans trop me l’avouer. Mais chaque fois que je la voyais aux nouvelles, je poussais un petit "mmmm" attendri. Et puis, comme souvent quand on est physiquement séduit, on trouve vite d’autres qualités. Je la voyais plus militante que bien d’autres journalistes, laissant poindre, il me semblait, une identité très québécoise. Ce qui, provenant d’une immigrante, était d’autant plus réjouissant. J’ai remarqué, entre autres, qu’elle parlait de prisonniers politiques quand elle parlait des ex-felquistes.
D’ailleurs, je l’ai déjà croisée. C’était à l’occasion du 30e anniversaire de L’Osstidcho, au Quat’Sous. Je tenais le rôle d’Yvon Deschamps dans le spectacle L’Osstidcho en rappel. Elle était la présentatrice. On avait jasé en coulisses. De la voir près de moi, en chair et en jambes, m’aidant avec toute sa chaleur et son sourire à surmonter un trac épouvantable (imaginez, incarner Yvon Deschamps devant Yvon Deschamps et tout le gratin artistique…), mettons que ça n’avait rien fait pour m’aider à décrocher. Wow!
Et quand j’ai fait le monologue Nigger black, au moment de dire: "On avait ôté les culottes de sa p’tite soeur pour voir si à l’avait les fesses blanches! Moé, c’est mon frére qui m’avait dit ça, mais c’est pas vrai pantoute, ça…", je me suis tourné vers elle, assise dans la première rangée, lui demandant du regard de confirmer qu’elle n’avait pas les fesses blanches. Elle faisait déjà non de la tête avec un large sourire, comme si elle avait deviné que je me tournerais vers elle, et tout le monde était parti à rire…
Bref, j’ai déjà cruisé l’actuelle gouverneure générale du Canada pendant toute une soirée. Et de nos conversations, du contexte, des amis qu’elle avait dans le milieu et de ce que je savais d’elle, j’étais persuadé qu’elle était indépendantiste. Tellement qu’au moment de la course à la succession de Bernard Landry, lors d’une chronique à Joël Le Bigot, j’avais suggéré son nom comme candidate. C’était à moitié une blague mais il y avait quand même quelque chose là. À défaut d’avoir une vraie chance personnellement, je me disais qu’on pourrait au moins être politiquement proches. J’avais écrit: "… ils seraient mal pris, ceux qui aiment bien accuser le mouvement indépendantiste d’être raciste."
D’après ce que j’ai pu savoir, j’étais loin d’être le seul à la croire "de notre bord". Mais quelques mois plus tard, la claque dans la face: elle acceptait le poste de gouverneure générale du Canada!
Alors là… La déception politique s’est mêlée à la déception personnelle. Je me suis senti floué, trahi, presque personnellement. Tout ça a beau être du domaine du fantasme, je pense que ça explique, symboliquement, la force de la réaction de beaucoup de Québécois aux déclarations de Michaëlle Jean. Imaginez, vous tentez de séduire une fille, elle semble vous ouvrir la porte, vous avez de l’espoir, et soudain, la voilà qui se matche avec votre plus grand rival, qui est en plus votre boss…
Et puis, elle minimise votre flirt, disant à tout le monde que vous n’avez jamais eu aucune chance avec elle. Ça fait mal. Et ça s’aggrave. Si elle s’était contentée de prendre la job pour le prestige et les voyages, vous auriez pu maugréer dans son dos et laisser passer son mandat de mascotte. Mais elle en rajoute, passant son temps à vous faire la morale, dans la limousine du boss, à vous dire que c’est vous qui êtes méchant avec lui, que vous devriez l’accepter, devenir son ami. Tout ça enrobé d’une rhétorique de vendeuse de toutous qui est sans doute ce qui vous déçoit le plus. De vous-même, finalement. Comment avez-vous pu ne pas voir d’avance cette insoutenable légèreté de l’être? Ce mélange d’ambition personnelle et d’hypocrisie politique qui la fait se plonger dans les contradictions comme s’il s’agissait d’un bain de mousse. L’indépendance, c’est bon pour Haïti mais pas pour le Québec. Les "Canadiens qui vivent au Québec" (on n’est même plus des Québécois, remarquez…) devraient s’ouvrir au Canada. Alors que le Canada anglais nous insulte ou nous ignore régulièrement, mais là-dessus, pas un mot.
Et si vous réagissez autrement qu’en cocu content, que vous contestez, que vous laissez paraître votre frustration, vos réactions serviront à nourrir ceux qui, dans son camp, ont intérêt à vous faire passer pour un raciste et un intolérant. Elle qui aurait pu être un symbole de l’inclusivité des indépendantistes ou qui, en restant neutre, aurait au moins illustré le fait que la société québécoise francophone est ouverte à la diversité, la voilà qui sert maintenant de provocation pour faire croire à notre fermeture d’esprit. Le rêve s’est transformé en cauchemar.
Maintenant, chaque fois que je vois Michaëlle Jean parler, ça sort tout seul. Je ne l’écrirai pas ici, mais c’est le mot de tout amoureux éconduit.
Désolé, Michaëlle. Tu m’as trop déçu.