Impertinences

L’état des routes

Ça fait plusieurs années que je n’en reviens pas des réactions que provoque au Québec l’état de nos routes. Je suis bien d’accord qu’elles sont largement dans un état lamentable et il est indéniable que c’est beaucoup mieux juste chez nos voisins immédiats. Mais de là à y voir une preuve de la déliquescence du Québec comme société, me semble qu’il y a une large voie.

Pourtant, il suffit qu’une conversation dans une soirée glisse sur la politique ou sur l’avenir du Québec pour que le sujet de l’état des routes resurgisse immanquablement. Genre "Anyways, on fait dur, regarde l’état de nos routes", "Comment veux-tu faire un pays avec une gang qui est même pas capable de faire de l’asphalte qui craque pas après cinq minutes?".

Essayez à la maison. L’état des routes, ponts et viaducs au Québec est un sujet qui peut se glisser dans à peu près n’importe quelle conversation, n’importe quand. Pour ma part, je me souviens qu’un gars à amené le sujet alors que nous parlions du déménagement des Expos. C’est arrivé une autre fois quand nous parlions du manque de médecins en région. Et je ne suis pas sûr, mais je pense que le sujet s’est déjà immiscé alors qu’on parlait de cul. Ça frôle la fixation obsessionnelle. Et avec le viaduc effondré à Laval, ce n’est pas près d’arrêter. Pour plusieurs, le réseau routier québécois a valeur de symbole suprême de notre déclin collectif.

Whoa les moteurs! Les faits ont beau être vrais, j’ai l’impression qu’on tombe dans l’interprétation abusive. C’est comme si nous étions collectivement porteurs d’une pulsion d’autoflagellation qui précédait l’erreur qui lui servira de prétexte pour s’exprimer. Si ce n’est pas les routes, c’est les hôpitaux, les écoles, la forêt, le paysage.

Si l’effondrement s’était produit en Ontario, vous croyez que les Ontariens auraient conclu au déclin de leur province ou du modèle canadien dans son ensemble? J’en doute. On aurait cherché des responsables, on aurait fustigé quelques politiciens, dans certains milieux on aurait pointé du doigt l’utilisation abusive de l’automobile et du camionnage. Mais, dans les chaumières et autour des bières où on refait le monde, je ne crois pas que le drame aurait servi de déclencheur à une crise existentielle.

Les Anglais ont une phrase que j’aime beaucoup: "Devil is in the details". Le Diable est dans les détails. C’est facile d’avoir de beaux grands principes, mais si on ne fait pas attention aux détails pratiques, aux effets secondaires des lois et règlements, les résultats iront peut-être dans le sens contraire de ceux souhaités.

Sauf que, voilà, les détails, ça ne passionne pas grand monde. Les journaux et les bulletins de nouvelles ont beau faire des efforts pédagogiques pour expliquer les données techniques du problème, le peuple se passionne moins pour des histoires de densité de béton que pour une traque au coupable. Ou pour une séance de dénigrement généralisé de tout ce qui se fait au Québec. Dès que quelque chose craque quelque part dans un réseau public, on invoque la décrépitude du réseau routier comme preuve que tout est pourri.

Il ne s’agit pas de nier les problèmes ou de refuser de voir des liens entre les différents problèmes. Il s’agit de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Bon, nos routes sont en mauvais état. On fait quoi avec? On fait quoi dessus? Il serait peut-être temps de favoriser le transport par rail, qu’on a négligé alors qu’il est plus sécuritaire et plus écologique. On pourrait à tout le moins réduire les charges maximales des camions au Québec, qui sont plus élevées que partout ailleurs. Il y a une raison à ça. Le transport par rail est fédéral. Le camionnage, c’est une industrie locale, détenue par des gens qui votent et qui contribuent aux caisses électorales des partis. Mais ce n’est pas un complot, juste un lent glissement, partagé par tous les partis qui ont été au pouvoir au Québec, et qui doit être corrigé.

Ce qui nous rendrait le plus service, présentement, c’est que l’attaque vienne de l’extérieur. Il suffirait d’une Jan Wong pour dire que l’effondrement du viaduc est dû à la loi 101 (les plans devant être rédigés en français, ça a dû induire les ingénieurs en erreur…), ou d’une Diane Francis pour dire que les travaux publics au Québec sont toujours corrompus, pour que nous soyons tous unis à lui répondre qu’il ne faut pas charrier et qu’il faut étudier le présent cas en détail avant de conclure. Pour une fois que ça nous rendrait service. Allez, un petit effort…