Impertinences

Morbides médias

Qu’il s’agisse des victimes d’un tireur fou à Dawson ou chez les Amish, d’un tremblement de terre, d’une inondation ou de l’effondrement d’un viaduc, je ne comprends pas la fascination morbide qui semble toucher une grande majorité de gens concernant la mort médiatisée.

La mort frappe tous les jours. Le jour où le viaduc s’est effondré, à Laval, un gars que je connaissais est mort dans un accident de la circulation. Il descendait de son taxi, à pied, et traversait la rue quand une voiture l’a fauché. Un accident tout bête, sans coupable à pointer du doigt.

Sa famille, sa blonde, ses amis sont aussi touchés que s’il avait été sous le viaduc, ce jour-là. Mais pour eux, pas de compassion étalée dans les médias, pas d’éditoriaux pour dire que c’est inacceptable, pas d’analyses d’experts pour trouver des solutions afin que ça ne se reproduise plus, pas de psychologues pour analyser les effets du traumatisme. Pourtant, le deuil est le même. Mais, dans leur malheur, ceux-ci auront au moins la chance de vivre leur deuil comme il devrait se vivre: en privé.

Collectivement, c’est presque rendu politiquement incorrect de dire après une catastrophe: "Ben coudon, la vie continue." Bien sûr, je compatis avec les victimes. Mais je ne les connais pas. Au fond, je ne compatis avec elles que parce que les médias m’ont fait connaître leur sort.

La comparaison pourra paraître un peu tirée par les cheveux mais c’est quand même comme ça que je le sens. Quand un enfant se cogne la tête quelque part, il est sonné, et regarde toujours les adultes autour de lui avant de réagir. Si la première face qu’il voit est souriante et ne revient pas sur l’accident, il pourra, si la douleur n’est pas trop grande, oublier le bobo et passer à autre chose. Mais si, au contraire, il croise un regard affolé, les sourcils en accent circonflexe, qui lui souligne encore plus qu’il vient de se faire mal, alors là… Le braillage est pratiquement automatique.

Chaque fois qu’une catastrophe fait des victimes, on nous en parle, en long, en large et en direct. On est tous là à faire des sourcils en accent circonflexe, à répéter que c’est terrible. On se vautre dans le deuil. Alors tout le monde braille, partout, à chaque mort imprévisible ou un tant soit peu spectaculaire. La vie pourra continuer, mais plus tard. Parce que, après la pause, d’autres images exclusives!

J’ai l’impression que cet étalage du malheur des uns finit par faire le malheur de tout le monde. C’est ainsi que le public en général a l’impression qu’il n’y a jamais eu autant de guerres dans le monde et de meurtres dans la société. Pourtant, les statistiques tendent à démontrer le contraire. Mais ce qui importe, c’est la perception. Et les médias nous bombardent d’images de la violence et de ses effets comme jamais auparavant. Et je ne parle pas de la fiction, ici. Je parle des nouvelles.

Déjà qu’on manque de mots quand vient le temps d’offrir nos condoléances aux proches de quelqu’un qui vient de mourir, quand l’affaire devient médiatique, il se dit tellement n’importe quoi que ça frôle le grotesque. On cherche tellement un sens qu’on interprète à tort et à travers. Une semaine, on entend dire que la violence des tueurs fous viendrait de notre aliénante vie moderne, des difficultés d’intégration des immigrants ou de la musique heavy métal. Deux semaines plus tard, un homme tue cinq petites Amish et se suicide en Pennsylvanie. Il vivait dans un petit village bucolique, dans un milieu ethniquement et culturellement encore plus homogène que l’Islande, et n’écoutait pas de musique violente. Alors? On dit quoi, là?

Rien ne me rend plus mal à l’aise que le voyeurisme du deuil des autres. À la limite, quand la cause des victimes est politique, comme dans le cas d’une guerre, je peux comprendre. On doit montrer les effets de la guerre sur les populations civiles. Et encore là, il faut faire très attention à la manipulation qu’on peut faire de ces images. Dans le human interest, on utilise toujours le human qui sert notre interest…

Mais face à la mort privée, il me semble qu’on oublie de respecter la plus élémentaire pudeur. Les Amish ont tenu à gérer ce qui est arrivé à leur communauté à leur façon. Ils n’ont pas laissé les vautours médiatiques les envahir. Je les applaudis. Et même si j’ai l’impression d’être infiniment minoritaire, je dis ceci à tous nos médias confondus: quand vous couvrez des funérailles à la suite d’un écrasement d’avion ou que vous foutez vos micros sous le nez du frère d’une victime de tuerie dans une école, je zappe. Faites votre deuil de moi comme spectateur.