L’accommodement raisonnable. C’est l’expression de l’heure, et j’ai l’impression que c’est le concept de la décennie. À l’origine, l’accommodement raisonnable est une expression juridique, une notion de droit obligeant une législation à accommoder autant que possible la diversité. Mais les mots ont leur vie et l’expression est en train de prendre place dans la tête des citoyens, avec un sens légèrement différent. Si on ne fait pas gaffe, l’expression risque de devenir un néologisme technocratique honni, à l’instar de "compétences transversales", qui ne servira qu’à frustrer plus de monde à force d’être invoqué à tort et à travers. Mais l’accommodement raisonnable, ça peut aussi signifier un principe concernant les rapports entre la majorité et les minorités. Une forme de respect appliqué qui, pour être viable, devrait marcher des deux bords.
Dans ce contexte, la création du "comité consultatif sur l’intégration et l’accommodement raisonnable" mis sur pied par le ministre de l’éducation Jean-Marc Fournier est une excellente initiative. Et le choix de son président, M. Bergman Fleury, qui vient du domaine de l’éducation à Montréal et a une longue expérience des délicats exercices d’accommodements, semble être excellent. Mais après les recommandations, il faudra de l’action. Il faudra des gestes politiques qui prennent du guts. Il y a des leaders de certaines communautés, tendance ghetto, qui vont gueuler. Et il y aura sans doute des grincements de dents chez certains nostalgiques d’un Québec uniforme, qui sont cependant moins nombreux qu’on aimerait nous le faire croire.
Mais certaines nouvelles tendent à démontrer que le contexte pourrait être favorable à ce nouveau contrat social. En fait, souvent, il s’agit de "mauvaises nouvelles" qui en cachent des bonnes. Par exemple, nous apprenions récemment l’existence d’écoles catholiques religieuses hors du système d’éducation qui faisaient l’enseignement du créationnisme. La bonne nouvelle? On pourra les fermer en même temps que les écoles juives orthodoxes qui n’enseignent que le Talmud (et qu’aux garçons) sans que le geste ne puisse être perçu comme une oppression de la communauté juive.
Des leaders musulmans modérés au Canada se plaignaient récemment de l’intimidation exercée sur eux par des éléments plus radicaux de leur communauté et demandaient d’être protégés. La bonne nouvelle? D’abord, il y a des musulmans modérés… Mais surtout, ils s’identifient comme tels, s’organisent et s’opposent aux intégristes. La lutte contre l’intégrisme musulman n’a donc pas à déraper en fermeture complète à l’islam.
Les Québécois sont prêts à accepter la différence, mais aimeraient sentir que toutes les communautés acceptent aussi certaines valeurs importantes. On accepte les mosquées, mais les musulmans acceptent qu’ils n’auront pas de minaret qui chante cinq fois par jour. On pourrait baliser l’habillement des jeunes femmes (comme des jeunes hommes, d’ailleurs) en imposant un uniforme décent dans les écoles, ce qui ferait du bien à tout le monde, mais il ne sera plus question de permettre le port du voile ou d’exiger des cours séparés pour les filles. On accepte l’érouv à Outremont parce que ça ne dérange personne, mais les hassidim devront abandonner l’idée de faire interdire les maillots de bain dans les parcs. On brainstorme, là, il y a sûrement de meilleurs exemples. L’idée, c’est que personne ne pourra rester tout seul dans son coin, mais surtout, que personne ne pourra imposer son intégrisme à d’autres.
Dans tout le dossier sur l’accommodement raisonnable, celui que j’ai le plus à l’oeil, c’est André Boisclair. Parce qu’il est le leader des indépendantistes au Québec, le 3/4 des journalistes nord-américains, et surtout canadiens, le considèrent d’avance comme un dangereux xénophobe obsédé par la pureté. Pour sauver son image, qui semble d’ailleurs être un atout précieux pour lui (sinon le seul qu’il ait…), Boisclair pourrait être tenté de ne jamais aborder le dossier. Trop délicat, trop miné. Pourtant, c’est en grande partie le Québec souverainiste qui a hâte qu’on établisse des balises claires et justes dans les rapports qu’entretiennent diverses communautés avec la société québécoise. Toujours la peur de disparaître qui revient. Mais ce n’est pas que de ça qu’il s’agit, car même l’Angleterre et le Canada anglais, où le multiculturalisme était une valeur suprême, commencent à remettre le modèle en cause. Le nouveau deal, ce serait de pouvoir dire: "On va vous en donner plus pour vous aider à vous intégrer, on va reconnaître vos compétences, vous donner des cours de français et de Québec 101, mais on va vous demander quelque chose en retour."
Ne serait-ce pas là le plus raisonnable de tous les accommodements?