Impertinences

Halloween politique

Le débat constitutionnel est revenu! C’est le zombie de la politique canadienne. On le croit mort et il sort de sa tombe pour nous courir après. Et on a beau courir à toute vitesse pour le fuir, dès qu’on se retourne, il est juste là derrière nous. Pourtant, on dirait qu’il n’avance pas, qu’il ne fait que se traîner en perdant des morceaux. Mais il est indestructible.

Ce qu’il y a de nouveau, cette fois, c’est que c’est un libéral fédéral qui a ouvert le cercueil. De la part des conservateurs ou des néo-démocrates, on pouvait comprendre. C’était le nanane qu’ils acceptaient de donner pour percer au Québec. Mais que Michael Ignatieff sente le besoin de recourir à la même stratégie, ça en dit long sur l’état du Parti libéral du Canada au Québec.

En passant, il s’est dit beaucoup de choses sur le passage d’Ignatieff à Tout le monde en parle. Et sur Chevrette aussi. Dans un cas comme dans l’autre, on a accusé Guy A. de manquer de mordant, de ne pas mettre ses invités face à leurs contradictions. Je suis d’accord. Mais permettez-moi d’émettre une hypothèse. Si Tout le monde en parle se forge tout de suite une réputation de tribunal d’inquisition politique, plus aucun politicien le moindrement sur la sellette n’acceptera d’y aller. Et on se retrouvera avec une autre émission de plogues de vedettes. Nos politiciens sont frileux, on ne les contredit pas souvent. Je comprends Guy A. Lepage et son équipe de vouloir d’abord établir l’habitude avant de développer un mode d’échange plus relevé. La technique du pusher, quoi. On commence par accrocher la clientèle avec du petit stock ben doux, et une fois qu’ils ne peuvent plus se passer de la tribune, là, on les coince. Mais malheureusement, le Québec politique n’en est pas encore là.

Tout de même, en faisant l’unanimité sur le plateau de Tout le monde en parle, Ignatieff a déclenché tout un cataclysme au Canada anglais. Reconnaître le Québec comme une nation, quelle idée! Pierre Elliott Trudeau doit tellement se retourner dans sa tombe qu’Hydro-Québec devrait songer à y installer une turbine. D’ailleurs, son cher fiston, qu’on nous mitonne comme le prochain grand Canadien, a été prompt à se prononcer contre l’idée. Tout comme Bob Rae et Stéphane Dion, qui espérait bien pouvoir remettre le Parti libéral sur pied au Québec sans passer par cette stratégie de tous les périls. Mais le processus est maintenant enclenché. Refuser de reconnaître le Québec comme une nation, ce sera perdre des votes au Québec, et ultimement donner du gaz aux souverainistes. Et le faire risque de coûter des votes à l’extérieur du Québec.

Et puis, si on accepte de dire que le Québec forme une nation, un jour, il faudra bien préciser ce que ça veut dire en termes concrets dans le fonctionnement du Canada. Est-ce que ça veut dire qu’il peut avoir sa propre équipe de hockey au Championnat du monde? Et aux Olympiques? Est-ce que ça peut empêcher de brandir la menace de la partition advenant un Oui à l’indépendance? Est-ce que ça peut forcer à régler le déséquilibre fiscal? Si les Québécois y tiennent tant que ça, au statut de nation, ce doit être qu’il y a quelque chose de rattaché à ça… Alors qu’à ne rien dire, à continuer d’y aller à la pièce, on peut aller chercher des votes à chaque élection.

Et c’est drôle comment les premiers à dénoncer le nationalisme quand il s’agit de celui du Québec sont les premiers à le célébrer quand il s’agit de celui du Canada. Comme le beau Justin l’a dit, c’est un débat du 19e siècle. Ben oui, ben oui… Mais l’idée d’un Canada séparé des États-Unis, ça, c’est un concept brillantissime, indiscutable. C’est formidable comment toute rationalisation est acceptable quand il s’agit de justifier ce qui existe déjà. Ça donne à celui qui énonce ces idées la belle image d’être sûr de lui, pondéré, "présidentiable", alors que ça ne tient à aucune logique, au fond.

Mais ça rejoint un peu ce que Jean Charest a dit cet été, en France. Ben oui, le Québec a tout ce qu’il faut pour former un pays. Mais est-ce que ça vaut le coût? Is it worth the trouble? Je suis sûr qu’une majorité très claire de Québécois aimerait que le Québec soit déjà indépendant. On ne veut juste pas être pognés pour faire la job. Mais c’est tout de même une nouvelle étape dans le discours fédéraliste, une sorte d’amincissement de leur territoire. Avant, ils pouvaient faire peur, dire que le Québec s’effondrerait sans le Canada. Maintenant, ils ne peuvent plus dire ça. Le Bloc sauterait sur l’occasion. C’est la politique du trick or treat. Donnez-nous des bonbons ou on va vous faire peur, on va vous voler des votes et vous condamner à former des gouvernements minoritaires jusqu’à la fin des temps.

On peut haïr ça, mais faut quand même reconnaître que ça a marché…