Impertinences

Ah nooooooooooon!

Ça me fait le même effet que quand la télé-réalité est arrivée au Québec. Une espèce de "Ah noooooooon!" impuissant. J’avais beau espérer de toutes mes forces que ça flope, au fond, je savais que ça pognerait. Nous le savions tous. Nous savions que nous étions d’ores et déjà condamnés à ce que ces concours de rien à la vacuité clinquante fassent partie de nos vies parce que tout le monde ne parlerait que de ça. Nous le savions que la psycho-pop de magazine pour jeunes filles en viendrait à étendre encore son territoire. Nous le savions que la machine médiatique allait se goinfrer sans vergogne de ce fast-food télévisuel à grands coups de convergence. Nous le savions mais nous ne pouvions rien faire.

Ce sentiment d’impuissance désolée me revient toujours quand survient une nouvelle donne qui va carrément dans le sens contraire de ce que j’aurais souhaité. Ça m’a fait la même chose quand Michaëlle Jean a été nommée gouverneure générale, quand Lynda Lemay s’est mise à pogner en France, quand Garou a signé avec Angélil. C’est la perspective de la lancinance. Comme un orgelet qui commence à se faire sentir sous la paupière. Vous le savez que ça va éclore, que ça va durer des jours, voire des semaines, mais vous ne pouvez rien y faire. Ça s’en vient.

C’est précisément ce sentiment qui m’inonde dès que je vois Justin Trudeau dans les médias. Ah nooooon! Je sais, je vais encore passer pour le séparatiste de service au Voir mais il fallait que ça sorte. Il faut absolument que je partage cet écoeurement anticipé. J’ai l’impression d’être le client d’un chauffeur de taxi incompétent et sourd. Je suis pressé, on prend un bout d’autoroute, je lui dis de prendre la prochaine sortie mais il la rate. Et nous voilà repartis pour un long détour. Je ne peux pas descendre en route. Je ne peux pas l’engueuler au point où il me débarquera au beau milieu de nulle part. Ah nooooooooon! Je ne peux que prendre mon mal en patience en regardant les minutes de retard s’accumuler.

Le jeune homme a déjà pour lui un nom, une gueule de vedette de cinéma, une façon de s’exprimer qui fait bien plus honnête et proche des gens que Boisclair. Et le voilà qui avoue franchement envisager de faire de la politique. Tout l’establishment libéral doit mouiller ses culottes.

Et, si jeune, tout le monde a déjà avec lui la déférence qu’on aurait envers un grand homme. Ce qui le place en situation avantageuse, lui permettant de faire preuve d’un charmant soupçon d’humilité ici et là. Cela ne fait qu’augmenter l’admiration qu’on lui manifeste, bien sûr. À la fin de son entrevue au Point, Dominique Poirier lui a dit: "Merci beaucoup d’être venu nous parler de tout ça. C’est très généreux de votre part." Généreux? Qui est généreux, ici? Le kid se fait offrir une tribune au Point pour torpiller le projet de reconnaissance du Québec comme nation, en profite pour se mettre encore plus sur la mappe et annonce déjà ce qu’il aimerait avoir comme ministère. Moi aussi, je pourrais être généreux comme ça…

Bien sûr, je suis biaisé. Mais au-delà du nom et de la bouille, il y a quelque chose de fondamental dans ses propos que je ne peux pas supporter. Dans bien des débats, et chez nous en particulier dans le débat constitutionnel, s’opposent ceux qui tiennent à réparer les erreurs et les crimes du passé, les effacer, les venger, les exorciser, les vaincre. Et ceux qui voudraient juste qu’on les oublie. En général, ce sont ceux qui ont commis les crimes et les erreurs et/ou qui en ont bénéficié. D’ailleurs, personne n’a le monopole de cette attitude, les Québécois francophones font largement la même chose avec les autochtones.

L’Histoire n’a plus la cote. Il faudrait faire table rase tous les cinq ans. Nouvelle administration. Mais voilà, l’Histoire a des conséquences qui ne s’arrêtent jamais. Elles s’estompent, peut-être, se diluent. Mais les oublier, c’est se condamner à ce que les mêmes crimes et erreurs se répètent.

Le peuple québécois a été conquis, ou en tout cas occupé, puis a été exploité et méprisé. On a ouvertement tenté – et largement réussi – de le minoriser. Les temps ont changé, bien sûr. On ne vit pas en Palestine, et les discours nationaleux qui font comme si c’était le cas me hérissent au plus haut point. Mais être une minorité politique a des conséquences. Sur la façon dont on reçoit nos immigrants, sur la confiance en soi des individus, sur le taux de désespoir, sur les performances des athlètes, sur mille et une choses.

Je crois pour ma part que seule l’indépendance peut mettre fin aux conséquences néfastes de cette Histoire. J’accueillerais volontiers les propos de fédéralistes qui suggéreraient de le faire à l’intérieur du Canada. Mais simplement se faire dire que ce sont de vieilles chicanes et qu’il faut regarder vers l’avenir, c’est simpliste et méprisant. En digne représentant de la presque seule famille véritablement d’identité canadienne au sens trudeauesque du terme, nul doute que le jeune Trudeau se croit quand il avance ses énormités. Et j’ai confiance qu’on verra tôt ou tard que c’est de la poudre aux yeux. Mais quand je vois que nos médias embarquent servilement au service de sa légende naissante, je me dis que ça pourra encore faire illusion un autre 10 ans…

Ah nooooooooooooooon!