Voilà, c’est fait, la Chambre des communes vient de reconnaître que "les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni". La boîte de Pandore est grande ouverte et ça revole de partout. On pourra picosser là-dessus à l’infini parce qu’à peu près chaque composante de l’affirmation soulève des questions. Personne n’est certain de ce que "Québécois" veut dire, personne n’est certain de ce que "nation" veut dire, et personne n’est certain de ce que ça veut dire de préciser que tout ça est au sein d’un Canada uni.
Est-ce une simple constatation de l’état de fait actuel ou si c’est une condition? Est-ce que ça veut dire que, mettons qu’on fait l’indépendance, notre statut de nation se dissolverait, ouvrant ainsi la porte à tous les partitionnistes? Si c’est le cas, les Québécois sont donc en liberté conditionnelle. On se demande bien pour quel crime…
Et en plus du fait que tout le monde se demande ce que la résolution veut dire, presque tout le Canada anglais veut être rassuré qu’en réalité, ça ne voudra rien dire. Aussi bien dire que "les Schtroumpfs forment un schtroumpf au sein d’un schtroumpf schtroumpf". Ça aurait au moins le mérite d’être clairement flou.
D’abord, le mot "Québécois" ayant été conservé en français dans le texte anglais, on s’interroge. Ça laisse croire à une définition ethnique de la nation. Comme si le vocable "Québécois" venait remplacer "Canadien français". Les Acadiens ayant déjà été reconnus par le gouvernement fédéral, ça laisse les Franco-Ontariens et tous les francophones de l’Ouest comme étant en fait des "Québécois hors Québec", une forme de diaspora, en quelque sorte. Bizarre alors que beaucoup d’entre eux n’ont jamais mis les pieds au Québec.
La notion de "Canadien français" est pourtant une réalité socioculturelle. Ethniquement, je suis un Canadien français. On a tendance à l’oublier mais notre premier "nous" local, enraciné en Amérique, a été un "nous" canadien. Le mot "Québécois" recouvre en grande partie l’identité canadienne-française mais ce n’est pas un synonyme. Il y a des Canadiens français qui ne sont pas québécois. Et il y a des Québécois qui ne sont pas canadiens-français. C’est une identité politique et non pas ethnique.
Question à débattre: Dans l’éventualité qu’une "Équipe-Québec" puisse participer à la coupe du monde de hockey, pensez-vous que Marc Savard, un Franco-Ontarien, devrait faire partie de cette équipe? Ou pensez-vous que Scott Mellanby, un Montréalais anglophone, devrait s’y joindre?
Mettons que je vive en Chine. Mettons même que je sois né là de mes parents canadiens-français, que je parle chinois parfaitement, en plus du français québécois. Serais-je pour autant considéré comme un Chinois? Sinon, serait-ce une grave preuve de racisme ou de xénophobie à mon endroit? Et les Tibétains? Sont-ils des Chinois? Et s’il y a une nation ou un peuple tibétain, les Chinois qui vivent au Tibet (et Pékin s’assure qu’il y en aura de plus en plus…) sont-ils pour autant des Tibétains?
J’adore écouter la tribune téléphonique de Maisonneuve en direct à la Première Chaîne de Radio-Canada. Ce mardi, le sujet était, bien sûr, la nation québécoise. Avec cette question: Qui est québécois? Il y a eu plein de réponses intéressantes. La plupart faisaient valoir la belle grande définition civique, ouverte et pluraliste de la nation. Mais il y a un auditeur qui a affirmé que pour savoir vraiment qui était québécois, il fallait écouter une personne parler. Selon lui, Normand Brathwaite est québécois mais Dany Laferrière est haïtien. Liza Frulla est québécoise mais Alfonso Gagliano est italien. (Pour ma part, je pense qu’Alfonso Gagliano est d’abord un Libéral…)
Vous savez quoi? Je ne trouve pas ça si fou que ça. Je pense qu’il y a des nuances. L’accent peut être trompeur et il existe des hybrides. Vic Vogel, par exemple, est tout à fait québécois. Joël Le Bigot est un hybride. Personne ne remet en doute le concept de citoyenneté ici, qui est bien sûr ouvert et pluraliste. Il s’agit de définir un ensemble suffisamment cohérent pour former une entité qu’on identifie. Et la langue, la langue française telle que parlée au Canada, est un lien clair.
Or, il y a, dans le territoire de l’actuelle province de Québec, une large majorité de locuteurs de cette langue. Et oubliez la religion, les valeurs, la couleur; les immigrants qui s’intègrent parfaitement sont ceux qui en viennent à adopter cette langue, toute seule ou avec d’autres. Le seul territoire où cette langue a ce pouvoir d’attraction est le Québec. Ça en fait donc une nation, inclusive et légitime. Ça mérite d’être reconnu. Si la résolution de Harper ne fait que le laisser entendre, et même si c’est par pure politicaillerie, c’est déjà ça de pris.
Mais ce ne sera jamais aussi clair que quand nous l’affirmerons nous-mêmes.